Mise à jour le 10 Décembre 2011
 
CONFÉRENCE
"LE SYSTÈME SOLAIRE EST-IL STABLE ?"
Par Jacques LASKAR  
Dr de Recherche CNRS, Membre de l'Académie des Sciences
De l'IMCCE (Institut de Mécanique Céleste et de Calculs des Éphémérides)
Organisée par l'IAP
98 bis Av Arago, Paris 14ème
 
Le mardi 6 Décembre 2011 à 19H30
 
Photos : JPM. pour l'ambiance (les photos avec plus de résolution peuvent m'être demandées directement)
Les photos des slides sont de la présentation de l'auteur.  Voir les crédits des autres photos
Vidéo de la conférence par le CERIMES disponible sur leur site quelques jours après (le CERIMES propose aussi toutes les vidéos des conférences IAP) :      voir : http://www.cerimes.fr/le-catalogue/institut-dastrophysique-de-paris-iap.html
 
 
 
BREF COMPTE RENDU
 
 
 
 
 
Jacques Laskar est un de nos plus grands spécialistes du mouvement des planètes ; de leur évolution dans le temps, et de leur mouvement chaotique dû à l'évolution de leur obliquité.
 
 
Ce soir il s’intéresse à la stabilité de notre système solaire.
 
En 1989 il démontre déjà que les planètes du système solaire ont des orbites chaotiques (cela signifie qu’on ne peut pas déterminer l’état de celui-ci au-delà d’un certain temps, quelques dizaines de millions d’années) et le publie dans la revue Nature : Laskar, J., 1989. A numerical experiment on the chaotic behavior of the Solar System. Nature 338, 237–238
 
 
 
 
 
 
 
 
 
UN PEU D’HISTOIRE POUR COMMENCER.
 
 
C’est Kepler en 1609 qui énonce ses fameuses lois décrivant l’orbite périodique des planètes ; il n’y a alors pas de problème de stabilité.
 
Cela va se compliquer plus tard avec l’arrivée de Newton et sa loi de la gravitation universelle.
En effet, tous les corps s’attirent entre eux à des degrés plus ou moins importants en fonction de leurs masses et de leurs distances.
Il y a donc interaction entre les orbites des planètes.
 
Les trajectoires ne sont plus les belles ellipses de Kepler, elles sont en fait plus ou moins déformées.
Mais ces déformations vont-elles s’accumuler au cours du temps ?
 
 
 
 
On se pose alors aussi deux questions :
·        Les lois de Newton rendent-elles compte du mouvement des planètes ?
·        Le système solaire est-il stable à long terme ?
 
 
 
À l’époque on pensait que c’était instable, c’était l’obsession de JD Cassini et dans des temps plus anciens de Ptolémée.
 
Jupiter se rapprochait du Soleil et Saturne s’en éloignait.
 
Le célèbre mathématicien Suisse, Euler, poursuit ces investigations sur les irrégularités de ces mouvements en 1752. il met en place le formalisme qui va servir plus tard à faire les calculs correspondants.
 
 
 
C’est Lagrange qui prend la suite, il trouve bien, lui aussi, que Jupiter accélère et Saturne ralentit ; mais c’est………..faux !
 
 
Laplace, va plus tard refaire les calculs vers 1773-1776 ; il ne trouve aucun changement dans les demi grands axes des planètes .
Les lois de Newton sont donc validées.
 
Mais alors, d’où viennent les variations constatées de Jupiter et de Saturne ?
On pensa aux comètes à l’époque.
 
 
 
 
Les excentricités peuvent bouger, Lagrange va résoudre le problème en calculant les variations séculaires des excentricités.
 
Il s’intéresse au mouvement du deuxième foyer (S’) au cours du temps.
 
Ce mouvement apparaît dans le coin inférieur droit de la figure ci-contre.
 
 
 
 
 
 
 
 
De même pour notre planète, la Terre, ces perturbations font évoluer l’excentricité et l’inclinaison (obliquité) sur des longues périodes de temps comme on le voit sur cette diapo.
Variations de l’excentricité de Mercure,
la Terre, Mars et Jupiter
sur les 20 derniers millions d’années.
 
 
 
Actuellement pour la Terre :
·        e= 0,016
·        i = 23°27’
 
 
 
En effectuant des calculs dans le passé, pour toutes les planètes, on s’aperçoit que les orbites bougent, mais en principe pas suffisamment pour provoquer des collisions.
 
Comme nous le montre J Laksar pour l’évolution dans le futur avec cette animation visible sur Internet.
Simulation du système solaire sur 5 milliards d'années sur plus de 2500 trajectoires différentes, qui ne diffèrent pour certaines que de quelques mm sur les positions.
Ces calculs n’ont été possibles que grâce à la nouvelle machine JADE du Centre Informatique National de l'Enseignement Supérieur (C.I.N.E.S) et a nécessité 7 millions d'heures de calcul.
Il subsiste une petite « chance » au bout de quelques milliards d’années d’avoir des orbites chaotiques qui déstabiliseraient le mouvement des planètes et provoqueraient diverses collisions. Il semble que ce soit principalement Mercure qui joue les troubles-fêtes.
Toutes les explications sur la page Internet citée en référence plus haut.
 
 
 
Le Verrier s’intéresse aussi fortement aux mouvements dans le système solaire et semble incapable de décider sur l’instabilité du système.
 
 
Et c’est Poincaré qui reprendra les calculs et estime qu’il existe des possibilités d’avoir des instabilités.
 
Jacques Laskar reprendra aussi ces calculs il y a près de 20 ans ce qui a abouti à la publication citée en introduction.
 
 
 
Cet effet de « chaos » a eu une influence sur le climat de la Terre, car il y a eu variations de l’excentricité et de l’obliquité terrestre, d’où variations de l’insolation.
 
On doit trouver des traces de ces changements climatiques sur Terre dans les sédiments et dans les carottes polaires.
 
Et le marqueur de tels évènements, c’est le rapport isotopique O18/O16.
 
Variations de l’obliquité et de l’insolation correspondante de la Terre sur le dernier million d’années.
L’eau contient un peu de O18, mais c’est le O16 plus léger qui s évapore plus facilement puis précipite aux Pôles, l’eau des océans devient plus riche en O18, c’est le contraire en période chaude qui recueille la fonte des glaces riches en O16. On détecte ces concentrations dans les coquilles d’animaux marins.
 
 
 
 
C’est cette méthode qui permet de calibrer les ères géologiques jusqu’à 40 millions d’années, c’est à dire de maintenant jusqu’au Miocène.
 
 
Une calibration jusqu’à 60 Ma est en cours.
 
(INPOP = Intégration Numérique Planétaire de l’Observatoire de Paris)
 
 
 
 
 
 
 
À cet instant du compte rendu, je reprends une partie du texte publié par l’Observatoire de Paris, concernant les perturbations apportées par Cérès et Vesta : Les orbites chaotiques de Cérès et Vesta
 
« Depuis plusieurs décennies, l'équipe dirigée par Jacques Laskar à l'Observatoire de Paris travaille à l'amélioration des éphémérides planétaires à long terme, visant à obtenir la meilleure solution possible pour l'orbite de la Terre. Ces recherches sont motivées par la possibilité de calibrer les échelles de temps géologique par corrélation entre les données géologiques stratigraphique et la variation calculée de l'insolation à la surface de la Terre résultant de la variation de son orbite et de son orientation.
La tâche est difficile car le comportement chaotique du Système solaire induit une augmentation exponentielle de l'incertitude initiale de la solution qui est multipliée par 10 tous les 10 Ma. Un résultat majeur a été obtenu avec la calibration astronomique de la période du Néogène (0 à 23.03 Ma) grâce à la solution orbitale La2004 (Laskar et al., 2004). Cette échelle de temps (Lourens et al, 2004) est désormais intégrée à la dernière échelle de temps géologique adoptées par l'Union Internationale des Sciences Géologiques (IUGS).
 
Depuis 2004, Un effort continu a été déployé afin d'étendre cette calibration astronomique sur la totalité du Cénozoïque, sur environ 65 Ma, jusqu'à l'époque de la fin des dinosaures. Cette collaboration internationale est organisée en Europe à travers le réseau GTSnext et le projet Earthtime-UE, et au niveau mondial à travers le projet Earthtime. Un effort mondial important a été consacrée à l'obtention de nouveaux enregistrements sédimentaires, tandis que l'amélioration de la solution astronomique a surtout été le fait de l'Observatoire de Paris.
 
La dernière amélioration de la solution astronomique a été obtenue grâce à une révision complète de l'algorithme numérique et à la construction des éphémérides planétaires de haute précision INPOP (Fienga et al., 2008, 2009, 2011) qui ont été prolongés sur plus de 1 Ma pour servir de référence à la solution à long terme.
Malgré cet effort, cette nouvelle solution La2010 n'est valable que sur 50 Ma (Laskar et al., 2011).
Dans une nouvelle étude, publiée le 15 juillet comme une lettre à A&A, l'équipe a identifié les raisons de ces difficultés imprévues rencontrées lors de la construction de ces solutions à long terme. Ils ont étudié en détail l'orbite de Cérès et des astéroïdes principaux, Pallas, Vesta, Iris, et Bamberga, et leurs interactions avec les orbites planétaires. »
 
 
Erreur dans la longitude de Cérès et Vesta pour une erreur initiale de 15 m. L’erreur en longitude (en km) est tracée en fonction du temps.
En bleu, l'interaction mutuelle des astéroïdes est négligée. Cérès et Vesta se comportent très régulièrement et l'erreur est de seulement 40.000km après 500 000 ans.
En rouge, les interactions mutuelles sont prises en compte.
 
La position est totalement perdue pour Cérès après 400 000 ans et pour Vesta, après seulement 200 000 ans
Donc on ne peut pas évaluer les perturbations sur les autres planètes.
 
 
 
 
 
 
 
De même on peut étudier ces influences sur l’excentricité de la Terre en tenant compte (courbe rouge) ou non des astéroïdes (courbe bleue).
 
 
On s’aperçoit qu’à partir de 60Ma on ne sait plus quelle est l’excentricité de notre planète !
 
Il semble que l’on ne puisse améliorer ce chiffre de 60Ma qu’à la marge avec de nouveaux calculs.
 
On ne pourra jamais prédire le mouvement des planètes au delà de 60Ma ou il y a 60Ma !
 
 
 
 
Si on s’intéresse maintenant à l’évolution des maxima de l’excentricité des planètes, comme l’a fait J Laskar en 1994, on remarque les valeurs suivantes :
 
·        Terre : 0,08  Mars 0,22  donc pas de collision possible.
·        Mercure 0,5 ne rencontrera pas Vénus, il faudrait 0,7
·        Mais si on change les conditions initiales, il peut y avoir une rencontre Mercure Vénus.
 
On remarque ces différentes possibilités sur le graphe ci-contre.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Si on fait des calculs sur un système complet, c’est à dire en considérant 8 planètes, Pluton, la Lune et l’action de la relativité générale ; peut il y avoir collision ?
On a utilisé sur 5 milliards d’années, 2500 trajectoires avec des variations parfois très faibles entre elles, comme par exemple bouger le grand axe de Mercure de 0,38mm!!.
Cela a nécessité comme déjà dit 6 millions d’heures de calcul et a donné le film présenté plus haut
En conclusion il existe 1% des trajectoires qui occasionnent une collision de la Terre avec Mercure.
De nombreuses autres possibilités de collisions et même d’échappement de planètes sont aussi faiblement probables.
Plus de détails techniques dans les références plus bas.
 
 
 
 
 
POUR ALLER PLUS LOIN :
 
Le site perso de J Laskar à l’IMCCE.
 
Le film d’animation des simulations numériques récentes.
 
Existence of collisional trajectories of Mercury, Mars and Venus with the Earth par J Laskar et M Gastineau.
 
Mercure, Mars, Vénus, la Terre : le choc des planètes, le communiqué de presse du CNRS. 
 
Mercury, Mars, Venus and the Earth: when worlds collide! Communiqué de presse en anglais.
 
La science du chaos par notre ami Th Lombry de Luxorion.
 
Le Système solaire est-il stable ? document pdf par J Laskar.
 
Variations séculaires des éléments elliptiques des 7 planètes principales par Le Verrier.
 
Cycles de Milankovitch et variations climatiques: dernières nouvelles par B Levrard de l’IMCCE.
 
La terre va-t-elle basculer ? article de La Recherche.
 
Variations climatiques et composition isotopique de l'oxygène (18O/16O)
 
Les éphémérides planétaires INPOP par J Laskar et al.
 
La2010: A new orbital solution for the long-term motion of the Earth  par J Laskar et al.
 
Une collision entre Mars et la Terre n’est pas impossible, article de Libération.
 
 
 
 
 
 
 
Bon ciel à tous !
 
 
Jean Pierre Martin .Commission de Cosmologie de la SAF.
www.planetastronomy.com
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