Mise à jour 16 Mars 2015-a   vidéo ajoutée

 

 

CONFÉRENCE MENSUELLE DE LA SAF
 «LA FABULEUSE MACHINE D’ANTICYTHÈRE»

Par Jean Jacques DUPAS
Ingénieur chercheur CEA Arpajon

À l’AgroParisTech 16 rue C Bernard Paris 5.

Le Mercredi 11 Mars 2015 à 19H00  Amphi Tisserand

 

Photos : JPM. pour l'ambiance (les photos avec plus de résolution peuvent m'être demandées directement)

Les photos des slides sont de la présentation de l'auteur.  Voir les crédits des autres photos et des animations.

Le conférencier a eu la gentillesse de nous donner sa présentation, elle est disponible sur ma liaison ftp et s'appelle :

SAF-Dupas-AnticythèreMars2015.pdf, elle est dans le dossier CONF-MENSUELLES-SAF/ saison 2014-2015. .

Ceux qui n'ont pas les mots de passe doivent me contacter avant.

 

Cette conférence a été filmée en vidéo (grâce à UNICNAM et IDF TV) et est accessible sur Internet

On la trouve à cette adresse   https://www.youtube.com/playlist?list=PL1ZHG2CIuv2dnb_juOBrJgffsfTekGRN1

 

 

 

 

 

 

 

Jean Jacques Dupas travaille au CEA au service de la DAM (Direction des applications militaires) et c’est tout ce que nous saurons sur ses activités professionnelles.

 

Il est rédacteur du magazine Tangente de vulgarisation mathématique.

 

C’est donc aussi un mathématicien, il est Président de l’association PlayMaths.

 

Mais c’est aussi un curieux, voilà de nombreuses années qu’il s’intéresse à cette fameuse « machine » d’Anticythère dont il nous conte l’histoire maintenant.

Partons pour un voyage dans le temps et dans l’espace !

 

 

 

 

 

HISTORIQUE.

 

La machine (ou mécanisme) d’Anticythère (lieu où elle a été découverte) est probablement le premier calculateur de positions astronomiques de la période antique.

Le mécanisme est complexe, il est en bronze, comprenant de nombreuses roues dentées disposées sur plusieurs plans mais liées entre elles.

 

 

La machine d'Anticythère est le plus vieux mécanisme à engrenages connu. Ses fragments sont conservés au musée national archéologique d'Athènes. À priori il n’existe aucun autre objet similaire.

 

Cette relique a été trouvée en 1901 dans une épave d’une galère romaine datant du premier siècle avant notre ère ; lors d’une plongée de pécheurs d’éponges.

Cela se passait au large de l’Île d’Anticythère (étymologiquement : en face de Cythère), au Nord de la Crète.

D’autres pièces sont remontées de l’épave, elles sont toutes à Athènes.

 

 

Photo : partie avant de la machine d’Anticythère. (© JJ Dupas)

 

 

 

 

L’histoire de cette relique est très floue, mais il semble bien qu’elle remonte aux Grecs un peu avant notre ère.

Voilà ce qu’en dit JJ Dupas :

 

Pendant la deuxième guerre punique le général romain Marcellus pensait prendre rapidement la cité-état grecque de Syracuse.

En réalité il lui fallut plus de deux ans et un des plus grand siège de l’antiquité pour vaincre cette colonie grecque, car dans la ville il avait un ennemi redoutable : Archimède et ses machines. Lors d’une fête en l’honneur du culte d’Artémis les habitants se tinrent un peu moins sur leurs gardes, les romains en profitèrent pour faire une brèche dans les fortifications de la ville. Marcellus voulait prendre Archimède vivant, mais celui-ci fut tué pendant la prise de la ville. La légende veut qu’un soldat l’ait occis alors qu’il était absorbé par la résolution d’un problème mathématique. Une des œuvres d’Archimède fut sauvée, Marcellus rapporta à Rome, un mécanisme sphérique en bronze, montrant les mouvements du soleil, de la lune et des planètes vues de la terre

Était-ce cette fameuse machine ?

 

La machine resta dans la famille de Marcellus et fut décrite par Cicéron au premier siècle avant Jésus-Christ. Celui-ci s’étonnât qu’une simple machine puisse décrire les mouvements des astres. Les historiens n’ont accordé que peu de crédit à ce passage de Cicéron, la machine sophistiqué dont il parlait semblait bien au-delà de ce l’on connaissait de l’ingénierie grecque. Cicéron n’étant pas un technicien il ne décrivit pas le fonctionnement de la machine et on pensait que, dans un jeu rhétorique, il avait exagéré. Cependant les restes de la machine d’Anticythère lui donnèrent raison, même si celle-ci n’est pas celle qu’il à vu (elle aurait été construite un siècle plus tard). Elle démontre qu’un mécanisme complexe, actionné à la main par une manivelle, comme celui dépeint par Cicéron, existât bel et bien et que la technologie grecque était bien plus avancée que ce l’on pensait.

 

Le mécanisme fut découvert il y a un peu plus d’un siècle par des pécheurs d’éponges de l’ile de Symi dans la mer d’Egée.

 

En 1900 lors d’une tempête ils trouvèrent refuge dans l’ile d’Anticythère (entre Cythère et la Crète).

 

Une fois la tempête passée, ils plongèrent et ce ne fut pas des éponges qu’ils trouvèrent mais des statues de marbre et des tas de bronze : il avait trouvé une épave.

Le gouvernement grec dépêcha immédiatement une équipe pour renflouer celle-ci. Travail dangereux, durant les 10 mois de l’expédition un mort et deux paralysé suite à l’absence de paliers de décompression.

 

 

 

 

Cependant ils mirent à jour un trésor incroyable : de statuts de marbre, de bronze, des joyaux ... Dans l’enthousiasme personne ne prêta attention à un bloc de bronze corrodé, couvert de concrétions, laissé dans une caisse dans la cour du musée archéologique d’Athènes. Tout cela changea à l’ouverture de la caisse, après séchage, on vit des engrenages, des cadrans écrits en grec ancien. Cet artefact délabré devint le mécanisme d’Anticythère et provoqua émoi et consternation. Avant cela, l’antiquité n’avait jamais fourni ni engrenages, ni aiguilles, ni cadrans. Et comme depuis on a rien trouvé de semblable ce mécanisme demeure unique.

 

 

Ce mécanisme, enserré dans une boite en bois, une fois remonté et séché est malheureusement parti en plusieurs morceaux (près de 100) comme on le voit ci-contre (Photo : Nature) :

 

Différentes hypothèses furent avancées quant à son utilisation : instrument de navigation, d’astronomie…

 

Mais voyons comment on a approché l’étude de cette antiquité.

 

 

 

 

 

Tout a commencé par le philologue (étude d’un langage à partir de documents écrits) Allemand Albert Rehm, qui avec une géniale intuition comprit que cette machine pouvait être un calculateur astronomique.

On notera que le commandant Cousteau visita l’épave en 1953 ce qui permit de la date.

 

Mais, les études sérieuses commencèrent dans les années 50 avec les travaux de l’Américain Derek John de Solla Price (22 janvier 1922 – 3 septembre 1983) de Princeton. Son article du Scientific-American de 1959 (voir ref à la fin), révélera le mécanisme au grand public.

En 1974 Price décrivit 27 roues d’après les radiographies du grec Charalambos Karakalos.

 

En 1985 Cousteau visite de nouveau l’épave.

 

Les années 2000 voient la création de la fondation « projet de recherche de la machine d’Anticythère ».

 

Et c’est en 2005 seulement que l’on eut l’idée de procéder à une analyse radio-tomographique de la machine qui révéla son mécanisme complexe.

 

 

LA MACHINE ET SON FONCTIONNEMENT (SUPPOSÉ).

 

Quelques chiffres correspondant à cette machine :

Dimensions : 33 x 18 x 10 cm

30 roues dentées dont les dents font 1,5mm.

3000 caractères sur un total probable de 15.000. C’est du grec du IIème siècle avant notre ère d’après les spécialistes, et même du grec plutôt de Syracuse.

 

Les radios dévoilent la structure intime.

 

On voit sur cette représentation ce qu’on imagine de la machine.

La face avant est à gauche, à droite la face arrière.

 

Chaque face devait posséder une porte comportant des instructions (mode d’emploi ?).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il devait y avoir un mécanisme d’horlogerie actionné à la main par une manivelle servant à calculer la position du soleil de la lune et des planètes vue de la terre et à prédire les éclipses de lune et de soleil.

La complexité de la conception – plus de trente roues dentées - et le fait qu’elle embarque l’état de l’art de l’astronomie de l’époque montre le génie de ses concepteurs. Cette machine malgré une grande complexité interne, possède plusieurs trains épicycloïdaux, elle était d’un usage très simple on le pense.

Il suffisait à l’opérateur de tourner une manivelle jusqu’à ce qu’un des cadrans affiche une position désirée (jour, alignement soleil-lune…) et directement l’opérateur pouvait lire sur les autres cadrans les correspondances dans d’autres cycles.

La grosse surprise, découverte récente, est qu’un cadran servait aussi à indiquer les olympiades ainsi que les autres jeux, dont les dates étaient très importantes pour les grecs. La machine avait donc un rôle social en plus de son usage de calculateur analogique.

 

 

 

Des scientifiques imaginent aussi comment toutes ces roues dentées devaient s’imbriquer, comme on le voit sur la représentation ci-dessous :

Front dials : face avant ; au niveau de input : il y avait une manivelle

Back dials : face arrière avec représentation des différents types de calendriers.

 

Le mécanisme tient compte de différents calendriers (lunaires, luni solaire, solaire,  …) on y trouve :

·         Un cycle Métonique de 235 mois synodiques lunaires (luni-solaire de 19 ans) qui tient compte aussi des Jeux de l’époque (olympique, etc..)

·         Un cadran zodiacal basé sur un calendrier égyptien

·         Un cadran lié au Saros  (223 lunaisons) important pour les éclipses.

 

On pense qu’il pouvait ressembler à un modèle reconstruit de nos jours et présenté comme cette illustration de Scientific American.

 

Ces mécanismes comprenaient des engrenages (roue + pignon) qui ne sont en fait là que pour permettre d’effectuer des rapports de nombres entiers.

À ce propos, on pense que les engrenages ont été inventés vers le IIIème siècle avant notre ère. Par qui ? Aristote ? Ctésibios ? Archimède, on sait qu’il en utilisait ? Héron d’Alexandrie ?

 

 

Ce mécanisme doit tenir compte des problèmes liés à tous les calendriers :

·         L’année de possède pas un nombre entier de jours

·         La lunaison aussi ne possède pas un nombre entier de jours

L’année pour les Babyloniens avait 360 jours, une année avec 365 jours existait aussi.

De plus suivant les civilisations les semaines n’étaient pas les mêmes (10 jours chez les grecs et les égyptiens, 7 jours chez les romains) ; il y avait aussi, comme déjà dit des calendriers basés sur la Lune, le Soleil et un mélange des deux.

 

 

C’est donc tous ces aspects que doit couvrir (ou qu’essaie de couvrir) notre machine.

 

 

Quelques photos détaillées de certaines coupes tomographiques de la machine, on y repère rainures,
 gravures et trous de positionnement.

 

Suivant que l’on s’intéresse au Soleil, à la Lune, au calendrier ou aux planètes on fait jouer différents jeux d’engrenages.

Je ne rentre pas dans tous les détails, étant donné que notre conférencier a expliqué tout cela dans sa présentation que l’on peut télécharger.

 

Signalons quelques petits points de détails.

 

 

Les spirales (reconstituées) correspondant aux cycles Callipique et Métonique (à droite) et Saros (à gauche).la grande spirale comporte 235 cases correspondant aux 235 mois du cycle métonique.

La correspondance aux partie réellement existantes et comment la reconstitution s’est effectuée.

 

 

Concernant le cycle de Méton (d’Athènes) de 19 ans soit 6940 jours, soit 235 lunaisons, c’est un assez bon compromis entre un calendrier lunaire et un calendrier solaire. Il se trouve que ce cycle se trouve sur une spirale à 5 rangs qui permettait d’effectuer une correction grâce au petit cadran du haut intérieure à la spirale (correction callipique).

En effet, un siècle après Méton, Callippe améliora le cycle Métonique en remarquant que si on retranchait un jour tous les 4 cycles de Méton on avait une bien meilleure approximation du mois lunaire,

Le petit cadran du bas correspond aux dates des divers jeux de l’époque.

 

Mais si on remarque que :

12 lunaisons correspondent à 354 jours, cela fait une année un peu courte alors que

13 lunaisons correspondent à 383 jours, cela fait maintenant une année un peu longue.

 

Or dans le cycle métonique, 19 années de 12 mois lunaires font 228 lunaisons, il en manque 7 pour les 235 lunaisons du cycle.

Les Grecs ajoutaient alors un mois toutes les 3 années pour ajuster cycle lunaire et cycle solaire.

 

La spirale de gauche concerne le cycle de Saros (18 ans et 11 jours et 8 heures, 223 lunaisons) lié aux éclipses ainsi que le cycle d’Exéligmos de 3 Saros (54 ans) situé au centre de la spirale. Au bout de ce cycle, la Lune et le Soleil se retrouvent (presque exactement) dans la même configuration, c’est donc intéressant pour connaitre la date des éclipses.

Pour tenir compte des 8 heures qui ne font pas un compte rond sur les jours, il existe un petit engrenage contre celle spirale qui doit en tenir compte, elle est marquée 0, 8, 16.

 

 

 

La machine doit aussi tenir compte des mouvements apparents du Soleil, car à l’époque, c’était la vision géocentrique de l’Univers qui prévalait. On compensait grâce à un système d’épicycles (cercles qui tournent sur ces cercles etc…), cela était obtenu en décalant des axes d’engrenages.

 

Le mouvement de la Lune était beaucoup plus complexe avec sa révolution sidérale (par rapport aux étoiles) de 27j 7h43mn et sa révolution synodique (lunaison, intervalle entre deux nouvelle lune) de 29j 12h44mn.

Il y avait donc un cadran lunaire (sur la face avant de la machine).

 

 

De même il y avait un cadran dédié aux mouvements des planètes connues de l’époque (Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne).

 

 

 

La roue correspondante au placement des planètes

Le mécanisme interne tel qu’on l’imagine

Une réalisation en maquette. (Tony Freeth, Images First Ltd)

 

 

 

 

 

L’école mécanique d’Alexandrie.

 

·         Aristote : Il connaissait certainement la roue de friction

·         Ctésibios d’Alexandrie (-285 ; 222) : Fondateur de l’école mécanique d’Alexandrie. Il améliora le fonctionnement de la clepsydre la rendant plus précise grâce à un mécanisme proche de celui utilisé de nos jours dans nos chasses d’eau. Il aurait inventé des canons à eau, de nombreux automates, le clavier, le piston. Ce grand génie est injustement méconnu.

·         Archimède de Syracuse (-287 ; -212) : un grand savant de l’antiquité, inventeur de machines de guerre ? S’est intéressé à la sphère et à la construction de polyèdres.

·         Hipparque de Nicée (-190 ; -120) : Probablement le plus grand astronome de l’antiquité. Il découvrit la précession des équinoxes. Ce fut aussi lui qui introduit les épicycles pour expliquer le mouvement apparent des astres. Il évalua la distance terre-lune et terre-soleil. A-t-il inventé l’astrolabe ?

 

On pense que Cicéron (-106 ; -43) aurait vu ou manipulé la machine d’Anticythère et qu’il en aurait parlé.

 

 

 

Références sur la machine fournies par le conférencier :

 

 

Jo Marchant, Decoding the Antikythera, New Scientist, décembre 2008

 

Tony Freeth, Decoding an Ancient Computer, Scientific American, décembre 2009

 

Jo Marchant, Decoding the heavens: Solving the mystery of the world‘s first computer, Heinemann, 2008

 

Tony Freeth, Alexander Jones, John M. Steele & Yanis Bitsakis, Calendars with Olympiad display and eclipse prediction on the Antikythera Mechanism, Nature Vol 454, juillet 2008

 

Philip Ball, Complex clock combines calendars, Nature, Vol 454, juillet 2008

 

Le site officiel de la machine : www.antikythera-mechanism.gr

 

Decoding the ancient Greek astronomical calculator known as the Antikythera Mechanism T. Freeth1,2, et al  NATURE 2006

 

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

 

 

Tout sur les polyèdres: des solides de Platon aux étoiles de Poinsot-KeplerJean-Jacques Dupas

 

Calendars with Olympiad and Eclipse Prediction on the Antikythera Mechanism de la revue Nature.

 

The Antikythera Artifact.

 

Decoding an Ancient Computer, article de Scientific American de 2009.  Déjà dans les références de Mr Dupas

 

An Ancient Greek Computer article de Scientific American de 1959, aussi celui-ci plus fourni.

 

Hublot La mécanique d'Anticythère

 

Les Leçons d'une Machine à Remonter le Temps

 

Antikythera Mechanism interactive.

 

Une présentation de la machine en une vingtaine de slides.

 

The Cosmos in the Antikythera Mechanism par Tony Freeth1 and Alexander Jones2

 

The Antikythera Mechanism, blog sur la machine.

 

Antikythera Mechanism The oldest computer and Mechanical Cosmos 2nd century BC by Xenophon Moussas

 

The Antikythera Mechanism: The oldest mechanical universe in its scientific milieu par Xenophon Moussas

 

 

Des Vidéos sur cette mystérieuse machine.

 

Le célèbre film de plus d’une heure sur Arte. À voir absolument.

 

Une machine en….Lego !

 

Il existe des films montrant en 3D la structure de ce qui est analysé comme par exemple.

 

Ou d’autre qui nous font pénétrer de plus en plus profondément dans la structure complexe. À voir aussi.

 

 

 

 

Prochaine conférence mensuelle de la SAF : MERCREDI 8 Avril 2015   19H00   AgroParistech   Amphi Tisserand

Nous avons le plaisir de recevoir :

Pierre-Alain DUC  Astrophysicien CEA IRFU (Institut des Recherches Fondamentales de l’Univers)

Un autre regard sur les galaxies..

Vie et mort des galaxies à travers un programme d'imagerie profonde. Modèles d'évolution des galaxies

 

Entrée libre mais réservation obligatoire.

 

 

 

Bon ciel à tous

 

 

Jean Pierre Martin   Président de la commission de cosmologie de la SAF

www.planetastronomy.com

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