mise à jour le 2 Mars 2005

 

CONFÉRENCE SUR "MARS VUE PAR MARS EXPRESS"

par Jean Pierre BIBRING de l'IAS

Organisée par l'IAP

98 bis Av Arago, Paris 14 ème

 

Le Mardi 1er Mars 2005 19H30

 

Photos : JPM. sinon voir les ©

 

BREF COMPTE RENDU

 

 

 

 

Le siège de l'IAP : bd Arago, Paris (© Photo IAP)

Le public est venu très nombreux

 

 

Nous étions donc conviés à une conférence comme seule l'IAP et quelques autres institutions savent en proposer : un scientifique de très haut niveau, aujourd'hui Jean Pierre Bibring (photo), de l'IAS (Institut d'Astrophysique Spatiale d'Orsay) responsable de l'instrument OMEGA à bord de Mars Express, fait le point sur la mission après un an en orbite autour de Mars.

 

En effet il y a quelques jours se tenait encore la première conférence internationale sur Mars Express aux Pays Bas et dont nous avons parlé ici précédemment.

 

Le sujet de ce soir est de tirer les conséquences d'un an de travail des divers instruments et de voir ce que cela implique pour notre planète sœur.

 

 

 

 

 

 

 

LES ÉPOQUES DE MARS :

Le premier thème abordé fut celui de l'age de Mars, ou plutôt de savoir à quel moment et pourquoi son évolution s'est différenciée de celle de la Terre.

On sait que Mars s'est formée en même temps que tous les autres corps du système solaire, à savoir il y a 4,55 milliards d'années (que l'on notera Ga : Giga an, million d'années étant noté Ma) avec une précision de +/- 0,01 Ga.

Toutes ces planètes se sont formées en même temps et pourtant elles ne se ressemblent pas entre elles, pourquoi?

Quelle a été la succession des étapes qui ont amenées Mars là où elle est aujourd'hui?

Les ingrédients ont été les mêmes : une activité interne basée sur la radioactivité, qui produit en moyenne 10-8 W/m3 , chiffre qui peut paraître faible, mais attention le volume compte beaucoup quand il est énorme.

 

Il y a comme pour tous les procédés, compétition entre les gains et les pertes de chaleur interne. En effet du côté des gains, c'est le volume qui est en rayon à la puissance 3 et du côté des pertes, c'est la surface, donc en rayon au carré et la décroissance radioactive dans le temps. Alors on obtient des courbes de la température (T) en fonction du temps (t) pour chaque planète que JP Bibring dessine au tableau, elles passent par un maximum correspondant au "top" de l'activité de chaque planète avant de décroître vers la mort géologique.

Mars a déjà atteint cette phase.

Les planètes les plus volumineuses sont situées dans le haut du graphique.

 

Mars Express permet aussi d'étudier l'évolution de cette planète dans le temps grâce à ses divers instruments, qui sont présentés ci dessous (graphique ESA)

 

 

 

 

 

 

 

Les instruments seront découverts au fur et à mesure de la soirée suivant les besoins de l'explication.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'ATMOSPHÈRE DE MARS :

 

Elle est très tenue (1/100 de celle de la Terre) et correspond sur Terre à ce qu'il y aurait à 50km d'altitude.

 

À l'origine toutes les planètes (au moins les terrestres) avaient a peu près la même atmosphère : c'était principalement du gaz carbonique (CO2) : en effet on en trouve en trop grande quantité sur Vénus (100 fois la pression terrestre) et pas assez sur Mars.

La Terre avait elle aussi énormément de CO2 dans son atmosphère (peut être équivalente à 30bars à l'origine!) mais grâce à l'eau des océans nous n'avons plus que quelques centaines de ppmv (parties par millions par volume), pourquoi?

Le CO2 est soluble très facilement dans l'eau, il précipite et donne …….des carbonates.

 

Sur Mars, si il y a eu de l'eau en quantité, on devrait donc trouver des carbonates, or comme on le verra aussi tout à l'heure, on n'a pas trouvé de carbonates sur Mars, alors on pourrait penser que le CO2 est piégé sous forme de glace sur la planète, mais ce n'est pas le cas non plus, il n'est pas en grande quantité sous forme de glace, uniquement aux Pôles.

Donc le CO2 s'est échappé très tôt de la planète et certainement très vite. Pourquoi?

Mars est deux fois plus petite que la Terre : sa gravité y est plus faible (vitesse de libération plus faible) et a favorisé l'échappement de son atmosphère dans l'espace, de même elle a refroidi plus vite, ce qui explique qu'elle ait perdu son champ magnétique et cela aussi ça favorise la perte de CO2. Il n'y a donc aussi certainement pas eu de période où l'effet de serre était important sur Mars.

 

 

LA SUPER CAMERA ALLEMANDE HRSC :

 

En fait c'est elle la grande vedette de Mars Express. La caméra est fabriquée par nos amis allemands et a une résolution max de 15m par pixel. Elle permet de photographier non seulement verticalement (canal "nadir") mais aussi en angle permettant de cartographier en stéréo la planète. (activé par 3 vues différentes du même objet pour avoir l'effet 3D : 2 extrêmes et la vue nadir).

Elle possède 9 lignes de CCD chacune rendue sensible à une certaine couleur ou intensité à l'aide de filtres : rouge, bleu, vert et Infra rouge, les 5 autres dans le blanc avec un canal stéréo

 

Voir tous les détails à l'Institut für Planeten Forschung de Berlin (mais en anglais) :

http://berlinadmin.dlr.de/Missions/express/kamera/kameraeng.shtml

Au cours de la conférence des Pays Bas, G Neukum (le PI de la caméra) a rendu public une carte de ce qui a déjà été cartographié avec la HRSC que vous trouverez avec le rapport sur cette caméra dans les références Internet, mais voici pour vous allécher la carte des 20% qui ont été filmé avec elle. (les zones filmées sont les traces blanches sur la carte de Mars). On remarque que ce sont surtout les terrains anciens de la zone Sud qui ont été cartographiés ainsi que les Pôles.

 

 

(Photo © G Neukum FU Berlin)

 

 

La particulièrement bonne résolution de cette caméra, permet de dater les terrains en étudiant la cratérisation de ceux-ci (on compte les cratères!). On s'est surtout intéressé à la zone Sud de Mars, région qui a le plus de cratères d'impact. (que l'on voit sur la photo de gauche)

 

Que s'aperçoit on? C'est une zone très ancienne qui date de l'origine de Mars.

Ensuite on peut déterminer aussi l'age des volcans comme Olympus Mons par exemple, toujours en étudiant en détail la cratérisation.

 

Nous en avons parlé dans un article paru sur ce site il y a peu de temps.

 

La caldera d'Olympus Mons date de quelques centaines de millions d'années seulement, cela veut dire qu'il y a eu des périodes de volcanisme relativement récemment (au sens astronomique du terme bien sûr!)!

 

 

 

 

 

 

IL FAUT MAINTENANT PARLER DU BÉBÉ DE JP BIBRING : LE SPECTROMÈTRE OMEGA :

 

D'abord OMEGA, que signifie ce terme cabalistique?

OMEGA: Observatoire pour la Minéralogie, l’Eau, les Glaces et l’Activité, mis au point par l'IAS à Orsay et dont Jean Pierre Bibring est le PI, terme consacré pour appeler le responsable instrument (Principal Investigator en anglais).

Il fournit en fait des spectres de la surface et de l'atmosphère avec une résolution au sol variant de 350 m à 10 km.

De telles observations permettent de cartographier les principaux minéraux présents, et donc de retracer les détails de l'histoire géologique et des processus qui ont modelé la surface.

 

 

C'est en fait un peu plus qu'une caméra, car il fonctionne dans le visible (longueur d'onde 0,4 à 0,8 µ) et jusque dans l'infra rouge (jusqu'à 5µ).

Pourquoi est ce si important?

 

Beaucoup de corps donnent le même aspect vus dans le visible : par exemple de la glace d'eau ou de la glace de CO2; c'est tout bêtement blanc! Ce n'est plus le cas dans l'IR ces deux corps ont des signatures différentes dans ce domaine de longueurs d'onde et ainsi de suite.

Vous voyez où je veux en venir. On va pouvoir plus facilement détecter et doser les différents corps et minéraux à la surface de Mars.

 

 

LE PROBLÈME DE L'EAU, OÙ EST L'EAU ?

 

D'abord une question :

Pourquoi l'eau est elle donc si importante?

 

N'oublions pas l'atmosphère originelle de toutes les planètes telluriques: le gaz carbonique.

Ce CO2 ne nous protège pas des dangereux UV émis par le Soleil, et les UV tuent toute vie. (c'est un désinfectant puissant!).

Donc avec du CO2 aucune planète ne pouvait développer la vie au niveau du sol, mais l'eau protège des UV, et c'est là que la vie peut démarrer, c'est là que la vie est restée pendant des milliards d'années sur Terre jusqu'à ce que l'atmosphère devienne protectrice due à l'enrichissement en oxygène et création de la couche d'ozone.

 

 

En a t il été de même sur Mars?

 

Une première indication est que Mars apparaît "rouge", c'est une planète rouillée, on pourrait croire que c'est l'action de l'eau qui a transformé le Fer en oxyde de Fer. Et bien c'est faux, l'oxydation s'est produite par action de l'oxygène qui même en quantité très faible a au cours du temps fait rouiller la planète.

 

Et les traces d'anciens lits de "rivières"? Comme ici Nanedi Vallis (photo MGS)

 

Ce sont bien le résultat d'eau qui a coulé, mais combien de temps? Et quelle quantité?

Dans quoi se jetaient ces rivières?

Rien n'est sûr, mais elles ont coulé probablement très peu et pendant peu de temps mais suffisamment pour creuser ces sillons caractéristiques. En effet c'est dans les terrains les plus anciens qu'on trouve des écoulements, on pense qu'il n'a pas coulé d'eau sur Mars au moins depuis 3 Milliards d'années! Ce qui n'empêche pas de temps en temps lors d'un impact météoritique de creuser un cratère "splotch" comme dans de la boue, là où ressort la glace de sous sol.

 

 

Allons à la recherche de l'eau (de la glace), et où chercher, d'abord là où cela semble évident aux Pôles.

 

 

Avec Omega, on a maintenant les outils pour partir à la recherche de l'eau , ou plutôt de ce qui devrait en rester, la glace.

 

 

Voici l'exemple des glaces du Pôle Sud de Mars, sur la vue de l'extrême droite de cette diapositive, on a une photo dans le visible, on ne peut pas distinguer le type de glace, ce qui n'est pas le cas en IR.

Vue de gauche : la glace de CO2 (la plus grande concentration en bleu)

Vue du milieu : la glace d'eau ((la plus grande concentration en bleu)

 

Il y a donc bien énormément de glace d'eau sous une mince pellicule de glace de CO2, c'est une révélation, longtemps on a cru  que le Pôle Sud était composé principalement de CO2.

 

 

 

 

 

Tout cela menant aux vues suivantes

 

 

 

Les deux zones de glace sont maintenant bien identifiées
(© OMEGA IAS)

Modèle de la calotte Sud : le CO2 très mince sur la glace d'eau (© OMEGA IAS)

 

Le Pôle Nord lui, on le sait depuis longtemps est constitué principalement de glace d'eau, la pellicule de CO2 est encore plus fine.

 

 

Mais si on ne trouve pas d'eau sur le sol de Mars à part aux Pôles, peut être trouve t'on de l'eau sous forme de matériel hydraté?

 

Et bien oui OMEGA en a trouvée sous forme de sulfates.

 

Dans la zone d'éjection de Syrtis Major grande concentration en bleu

Opportunity a eu la chance de se poser près de roches affleurantes contenant des sulfates
(© OMEGA IAS)

Le Pôle Nord de Mars contient aussi du gypse, preuve de présence d'eau.
(© OMEGA IAS)

 

 

La découverte de sulfates est très importante car cela implique l'action du soufre en présence d'eau, il faut donc chercher la vie dans les terrains contenant des sulfates. Comme le dit JP Bibring, la vie est peut être bloquée en "mode dormant", qui va la réveiller?

 

 

DIFFÉRENCE D'APPROCHES ENTRE LES DEUX CÔTÉS DE L'ATLANTIQUE :

 

La question fut inévitablement posée entre les deux philosophies européenne et américaine.

 

Sans être trop polémique, on peut dire que les scientifiques de la NASA sont bien meilleurs que nous au point de vue relations publiques (ils savent faire partager leur passion à tous les publics alors que chez nous on semble confiner la science à une élite, loin des contingences de ce bas monde!!), cela les force aussi à rendre leurs programmes attractifs et donc à "tirer un peu sur la corde" lors de conférences de presse avec des annonces un peu "limites".

Il doivent comme le dit notre orateur, pouvoir convaincre un sénateur dans un ascenseur de voter les crédits demandés, par des phrases super courtes et percutantes ce qui a donné naissance à la célèbre phrase : "follow the water" qui va devenir maintenant très certainement : "follow the microbs".

 

Bref , ils sont quand même très bons, mais nous aussi seulement, nous on ne le sait pas!!

La propagation de la Science n'est pas un long fleuve tranquille…………….

 

 

 

 

 

 

 

CONCLUSIONS :

 

Mars Express avec tous ses instruments a eu la chance de pouvoir effectuer un bilan GLOBAL de Mars, de l'atmosphère au sous sol (on attend MARSIS avec impatience) en passant par la surface.

On peut résumer :

 

** OMEGA n'a pas trouvé de preuves de grandes étendues d'eau permanentes lors des 3 derniers milliards d'années

 

** Il n'a pas trouvé de carbonates, prouvant la disparition rapide et précoce de l'atmosphère martienne.

 

** L'eau est présente sous forme de glace aux deux Pôles qui constituent un réservoir immense.

 

** Quelques terrains riches en sulfates ont été identifiés notamment près d'Opportunity.

 

** Dans les terrains anciens , on a détecté aussi la présence d'argile (clay en anglais) qui tend à prouver la présence en des temps anciens de grands épisodes liquide sur Mars, il y a plus de 3 Milliards d'années Mars aurait pu être chaude et humide.

 

 

Nombreuses questions à la fin de cette passionnante conférence. Jean Pierre Bibring a eu la gentillesse d'y répondre jusqu'au dernier moment.

 

 

 

Merci Jean Pierre Bibring pour ce voyage si captivant.

 

À bientôt j'espère.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LIENS INTERNET SUPPLÉMENTAIRES ESSENTIELS SUR MARS ET MARS EXPRESS :

 

Tous les rapports de la première conférence sur Mars Express (Février 2005) en anglais et en format pdf de 6 pages chacun.

 

Rapport d'intro aux instruments : http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/overview-chicarro.pdf

Rapport OMEGA : http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/bibring-omega.pdf

Rapport ASPERA : http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/aspera-barabash.pdf

Rapport SPICAM : http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/bertaux-spicam.pdf

Rapport MaRs (Radio) : http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/patzold-mars.pdf

Rapport PFS (Fourier) : http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/formisano-pfs.pdf

Rapport HRSC : http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/neukum-hrsc.pdf

Rapport Exobiologie :  http://esamultimedia.esa.int/images/spcs/mex-science/exobiology-gibson.pdf

 

 

 

Sur le site www.planetastronomy.com quelques uns des articles des astronews consacrés à Mars Express :

Le spectromètre OMEGA

La super camera allemande HRSC.

Un cocktail de méthane et d'eau!

Mars Express : où est passée l'eau?

Mars Express : De la lumière dans la nuit!

Mars Express : Vive le Radar!

Mars Express : Valles Marineris à la loupe.

 

Autres sites :

 

Compte rendu de la première conférence sur Mars Express par yahoo actualités.

 

Mesures avec OMEGA au LESIA.

 

L'analyse des données de Mars Express par l'Université de Nantes, labo de Planétologie.

 

Mars Express : first results from French instruments, SPICAM and OMEGA (en anglais)

 

Fiche technique de OMEGA en anglais (format pdf 13 pages)

 

Les premiers résultats de OMEGA sur l'étude de Mars en anglais (format pdf 6 pages)

 

OMEGA : explications à l'IAS.

 

Le site de Mars Express à l'ESA et aussi celle-ci.

 

Mars express n'a pas trouvé de carbonates sur Mars , article de la revue nature (anglais)

 

Mars et sa mer de glace, article de la revue Nature. (anglais).

 

Le responsable du PFS (Planetary Fourier Spectrometer) croit à la vie sur Mars, article de Nature (anglais).

 

La recherche de l'eau raconte l'histoire de Mars, article du journal Le Monde du 22 Février 2005.

 

 

 

 

C'est tout pour aujourd'hui!

 

 

Bon ciel à tous

 

 

Jean Pierre Martin   www.planetastronomy.com