mise à jour le 30
Juillet 2005
"PARADOXE
EPR, ÉTATS INTRIQUÉS, DÉCOHÉRENCE"
par
Philippe GRANGIER
Physicien, Institut d'Optique d'Orsay
MARDI
12 JUILLET 2005
Le siècle
d'Einstein à l'UNESCO Paris
Photos : JPM. Pour
l'ambiance
Je ne propose que
des comptes rendus succincts de ces conférences, le site http://einstein2005.obspm.fr/indexp.html
devrait mettre en ligne le texte de toutes les conférences bientôt.
BREF COMPTE RENDU
La Physique Quantique est la base de
notre compréhension physique du monde et est l'objet de succès innombrables de
notre vie de tous les jours : transistors, laser etc..
Mais elle conserve son caractère mystérieux et est très théorique pour la
plupart d'entre nous. C'est une théorie très déterministe qui ne procure pas de
correspondance directe simple entre objets quantiques et monde macroscopique.
Einstein introduit les quanta en 1905,
et c'est trente ans plus tard en 1935 qu'une objection est prononcée; c'est le
fameux paradoxe EPR du nom de leurs auteurs : Einstein, Podolsky et Rosen.
C'est en fait une expérience par la
pensée que propose Einstein et ses collègues contre la physique quantique.
Elle était supposé illustrer les
contradictions entre la MQ et l'impossibilité de dépasser la vitesse de la
lumière. Einstein contrairement à Bohr (et l'École de Copenhague) ne pouvait
pas admettre l'aspect probabiliste de la MQ.
Il imagine des paires de particules
"intriquées" (ou enchevêtrées) (en anglais : entangled) pour
lesquelles la connaissance des propriétés de l'une induit instantanément celles
de l'autre quelque soit leur position dans l'espace. Les particules semblent
garder un lien de communication entre elles.
Einstein pense que c'est impossible et
Bohr le contraire. À cette occasion il prononça la phrase célèbre "Dieu ne
joue pas aux dés!".
Cette controverse va être tranchée par
A Aspect (professeur de P Grangier) et c'est ce thème que nous propose P
Grangier ce soir.
Mais comme il n'est pas simple
d'expliquer en quelques mots les expériences EPR que vous pourrez retrouver
dans la présentation PPT citée en référence (utilisant des photons corrélés en
polarisation, attention il faut aimer les fonctions d'onde ψ), je vais essayer d'employer une
analogie que j'emprunte à Hubert Reeves dans son livre "Patience dans
l'Azur".
Je reprends l’énoncé avec une
comparaison pour le lecteur moins familier avec la physique des atomes. A deux
messagers, on a donné la consigne suivante : ils devront répondre à une
question par oui ou par non. Si le premier répond oui, le second devra répondre
non, et vice-versa. Les choses se passent telles que prévues. Il serait
raisonnable de supposer qu’ils se sont donné le mot au départ et qu’à chaque
instant du trajet chacun savait ce que l’autre allait répondre. Pourtant on
montre que tel n’est pas le cas. Aucun des deux n’a choisi avant l’arrivée
quelle réponse il allait donner.
Comment expliquer que le second
connaisse la bonne réponse ?
Selon bon nombre de physiciens (mais
pas tous), la situation peut s’éclairer de la façon suivante. Les deux
particules (ou les deux messagers) forment un système qu’il faut considérer
dans son ensemble, quelles que soient les dimensions de ce système. [...]
La situation paradoxale vient du fait
qu’on a supposé l’information localisée sur les particules. En conséquence,
elle doit se "propager" pour aller de l’une à l’autre particule. La
mécanique quantique implique au contraire que les deux particules restent en
contact permanent quelle que soit leur distance, même si elles ne sont plus
reliées causalement. De ce fait aucune information ne se trouve dans
l’obligation de voyager d’une particule à l’autre.
Cette controverse ne trouva pas de
réponse avant le fameux théorème de Bell en 1964.
"Il n’existe aucune théorie locale
à paramètres supplémentaires (dans l’esprit des idées d’Einstein) reproduisant
les prédictions quantiques pour les corrélations EPR pour l’ensemble des
orientations possibles des polariseurs"
Le théorème de Bell établit de façon
quantitative l’incompatibilité entre
les prédictions quantiques pour les paires de particules intriquées et la
vision réaliste locale du monde (à la Einstein).
Un test expérimental devient possible.
Lors de la parution de l’article de
Bell (1964), il n’existait aucun résultat expérimental permettant de conclure:
•Les inégalités de Bell s’appliquent à
toutes les corrélations descriptibles par la physique classique (mécanique,
électromagnétisme).
•Elles s’appliquent à la plupart des
situations connues où la physique quantique est nécessaire.
•Il faut développer des expériences
spécifiques.
Ça y est il se produit ce que je
craignais, j'ai décroché, Bell a sonné la cloche de mon décrochage!
Voilà ce que je comprends de la fin :
L’équipe Aspect-Grangier-Roger-Dalibard
d'Orsay, allait effectuer en 1981-82, trois expériences qui ont marqué
l’histoire de la mécanique quantique, par leur précision, mais aussi par
l’introduction de schémas expérimentaux de plus en plus proches de l’expérience
de pensée idéale discutée par les EPR.
Ils montrent l'accord avec la
MQ de cette fameuse controverse. Einstein avait donc tort sur ce point.
Ces
expériences mènent aussi à la Cryptographie quantique par paires intriquées (A.
Ekert) et avec les Qubits aussi aux ordinateurs quantiques utilisant des portes
logiques quantiques, qui peuvent être à la fois ouvertes et fermées!
Mais surtout à mon fantasme : la
téléportation quantique (Beam me up Scotty disait le Capitaine Kirk!).
Voici à gauche pour tout comprendre sur
la téléportation.
En conclusion, on peut dire que l'intrication
quantique permet de copier à distance les propriétés
d'une particule sur une autre; c'est le premier pas vers la téléportation!
POUR
ALLER PLUS LOIN :
Pour vous
remémorer la présentation de Philippe Grangier, une présentation presque
identique en Power Point (PPT) de 2,8MB.
"Des
objections d’Einstein aux bits quantiques:les stupéfiantes propriétés de
l’intrication"
La
conférence de Philippe Grangier sur la physique quantique à l'université de
tous les savoirs en vidéo (nécessite un
Media Player):
Article de fond de
notre ami Th Lombry sur le
paradoxe EPR : attention un peu complexe.
Plus simple par nos amis
canadiens de l'Université de Sherbrooke.
États
intriqués et paradoxe EPR par P Grangier : pdf 20 pages pour l'école
Polytechnique : (achtung! Aspirine nécessaire)
Paradoxe EPR
par astronomes.com.
Explication simple du
paradoxe EPR Wikipedia.
Article de la
revue La Recherche de Février 2005 sur
l'Intrication format pdf 3 pages.
Les
inégalités de Bell : 2,8MB 54 pages pdf par l'institut d'optique d'Orsay,
très technique
Quantum
teleportation with atoms de Los
Alamos.
La théorie
quantique des champs répond-elle aux critiques et aux attentes d’Einstein?
de Gilles Cohen Tanoudji, présentation PPT de 477kB, très bon.
Livre à consulter
(parmi beaucoup d'autres)
Einstein
aujourd'hui , ouvrage
collectif avec notamment Philippe Grangier.
Présentation de
l'éditeur
En 1905, Einstein publiait une série d'articles fondateurs sur la relativité,
les quanta lumineux et le mouvement brownien. Ces travaux ont ouvert la voie à
une bonne partie de la physique du XXe siècle et ils continuent encore
aujourd'hui à avoir un impact dans des domaines parfois inattendus. Des
physiciens français prestigieux donnent ici leur point de vue sur l'apport
d'Einstein à leur domaine respectif en ce début du XXIe siècle. Ce livre
contient sept contributions. La première est une introduction historique écrite
par Olivier Darrigol (Rehseis, Paris) qui décrit en détail la genèse des
articles fondateurs de 1905. Alain Aspect et Philippe Grangier (Laboratoire
Charles Fabry, Orsay) montrent comment la notion d'intrication des systèmes
quantiques, introduite par Einstein, Podolsky et Rosen, se révèle aujourd'hui
fondamentale pour l'information quantique. Claude Cohen-Tannoudji,Jean Dalibard
et Frank Laloë (Laboratoire Kastler Brossel, Ecole Normale Supérieure, Paris)
décrivent les développements spectaculaires dans la physique des condensats de
Bose-Einstein. Jean-Paul Pocholle (Thales, Orsay) fait le point sur la
technologie des lasers, en particulier à semi-conducteurs, et leurs multiples
applications dans la vie quotidienne. Bernard Derrida et Eric Brunet
(Laboratoire de Physique Statistique, Ecole Normale Supérieure, Paris)
soulignent l'influence sur la physique statistique moderne des travaux
d'Einstein sur le mouvement brownien. Thibault Damour (Institut des Hautes
Etudes Scientifiques, Bures-sur-Yvette) montre combien la relativité générale
est devenue une théorie incontournable à la base de notre compréhension des
étoiles massives, des trous noirs, des lentilles gravitationnelles et des ondes
gravitationnelles. François Bouchet (Institut d'Astrophysique, Paris) décrit
l'évolution fulgurante de la cosmologie depuis dix ans, qui débouche sur les
énigmes de la matière et de l'énergie sombres. Ces ouvrages, écrits par des
chercheurs, reflètent des enseignements dispensés dans le cadre de la formation
à la recherche. Ils s'adressent donc aux étudiants avancés, aux chercheurs
désireux de perfectionner leurs connaissances ainsi qu'à tout lecteur passionné
par la science contemporaine.
Voir
critique de ce livre par des professeurs de physique.
Voici enfin trouvé
sur un forum de discussions sur le Web, une analogie du paradoxe EPR très
imagée qui peut aider à faire comprendre.
Re : effet
einstein-podolsky-rosen
J'en ai
beaucoup discuté ici avec des gens qui s'y connaissent. Nous avons tous
contribué à formuler une description imagée à partir d'une illustration donnée
par John S. Bell.
Cette description sous-entends certaines suppositions, qu'il n'est pas
nécessaire d'expliquer ici. L'essentiel de la question EPR pourra, à mon avis,
être très bien mise en évidence. Allons-y!
Imaginez qu'une Reine donne naissance à deux fils, Charles et Carl. L'état des
humains Charles et Carl est qu'ils sont Prince. Si vous demandez à Carl, ou à
Charles, quel est son état, ils répondront tous deux : "Prince".
Lorsque la Reine mourra, l'un d'entre Charles et Carl deviendra Roi. Par
définition, on supposera dans ce qui suit que seule la Reine peut déterminer
lequel de Charles ou Carl sera promu Roi. La Reine écrira le nom du fils
désigné sur deux bouts de papier, et les glissera dans deux enveloppes qu'elle
donnera à ses fils. Nous avons maintenant tout ce qu'il faut pour mettre en
lumière l'effet EPR.
Entre le moment où la Reine meurt et le moment où l'un des fils ouvre
l'enveloppe, Charles et Carl ne sont plus Prince. Leur état respectif n'est pas
"Prince", ni "Roi", mais autre chose d'un peu plus
compliqué (en termes simple, un genre de mélange des deux). Si vous souhaitez
demander leur état à Charles ou à Carl, vous les forcez à ouvrir leur
enveloppe.
Disons que, justement, vous souhaitez demander à Charles quel est sont état
après que sa mère soit morte, et avant qu'un enveloppe n'ait été ouverte. Vous
organisez une rencontre, laquelle forcera Charles à ouvrir l'enveloppe et à
vous indiquer si c'est lui qui est Roi. Donc, Charles est là, il ouvre
l'enveloppe et crie: "Je suis Roi!". Alors, le point le plus
important est le suivant: "Au moment précis où Charles est devenu Roi
parce qu'il a ouvert l'enveloppe, son frère Carl a INSTANTANÉMENT acquit l'état
de Prince. Il a quitté son état "ni-Roi-ni-Prince" pour devenir
Prince.
Ce qui est incroyable, c'est qu'on peut placer Charles sur Mars, ou même dans
une autre galaxie, et au moment précis où Charles ouvre l'enveloppe, l'état de
son frère resté sur terre est modifié. En général, on exprime cet effet en
remplaçant les deux frères par deux électrons, et en remplaçant les états
Prince/Roi par spin+/spin-.
Ce que la mécanique quantique dit, c'est que Charles n'est pas Roi tant qu'on
ne lui force pas à ouvrir son enveloppe. L'argument EPR, c'est de dire que si
on force Charles à ouvrir l'enveloppe, alors il faut que quelque chose se
propage instantanément vers Carl pour l'informer qu'il n'est pas Roi. EPR
affirment qu'il est impossible à un signal d'aller plus vite que la lumière.
Ils concluent qu'il est impossible que l'ouverture de l'enveloppe par Charles
soit la CAUSE du changement instantané d'état de Carl. Il concluent que Carl
était déjà Prince avant que Charles n'ouvre l'enveloppe, et que la mécanique
quantique n'est pas complète, parce qu'elle affirme que Carl était en fait "ni-Roi-Ni-Prince"
avant l'ouverture de l'enveloppe.
Aujourd'hui, on sait que la mécanique quantique n'est pas prise en défaut par
cet argument. Il y a une faille dans l'argument EPR (en termes techniques: EPR
se basent à tort sur la localité ou la séparabilité), c'est qu'il semble
qu'effectivement, le fait que Charles ouvre l'enveloppe force réellement Carl à
devenir instantanément Prince (en termes techniques, le nature est non-locale,
ou non-séparable). Mais on ne peut pas dire qui de Carl ou de Charles a
vraiment ouvert l'enveloppe. C'est-à-dire qu'on ne peut pas savoir lequel des
deux est la cause du changement d'état. Quand on demande à Charles s'il est
Roi, on pose simultanément indirectement la même question à Carl. Les deux
ouvrent l'enveloppe en même temps, et ni l'un ni l'autre n'est la cause du
changement d'état.
C'est tout pour
aujourd'hui!
Bon ciel à tous
Jean Pierre
Martin www.planetastronomy.com