mise à jour le 9 Novembre 2006

 

SÉMINAIRE TEMPS ET ESPACE
"ANOMALIE PIONEER ET TESTS DE LA GRAVITÉ
DANS LE SYSTÈME SOLAIRE"

Par SERGE REYNAUD
Directeur de Recherche au CNRS,
chercheur au
laboratoire Kastler Brossel

À l'Observatoire de Paris, 77 Av Denfert Rochereau, Paris 14ème

 

le Lundi 6 Novembre 2006 à 14H00

 

Photos : JPM.pour l'ambiance Les photos en haute définition sont disponibles sur simple demande pour ceux qui le souhaitent

Les photos des slides sont de la présentation de l'auteur.  Voir les crédits des autres photos

 

 

 

BREF COMPTE RENDU

 

 

 

Nos lecteurs connaissent ce problème déjà évoqué dans ce colonnes :

Les sondes Pioneer (des années 1970) après avoir rempli parfaitement leurs missions d'exploration des planètes lointaines, sont devenues les objets les plus lointains jamais envoyés dans le fin fond du système solaire. Et on les suit à la trace, elles filent à 12km/s dans l'espace.

Après avoir dépassé les planètes géantes, les deux sondes ont suivi des trajectoires hyperboliques opposées et il est apparu qu’aux confins du système solaire le signal doppler émis par les sondes s'éloignait de la valeur calculée selon le modèle standard

 

Nous avions déjà évoqué le sujet il y a quelques temps.

 

Elles semblent subir une accélération (oh très faible , de l'ordre de 10-10 fois plus faible, soit 10 milliards de fois plus faible que la gravité terrestre, mais permanente) dirigée vers le Soleil, qui les ralentit, nos amis ingénieurs qui suivent ces sondes ont baptisé ce phénomène, l'anomalie Pioneer (Pioneer Effect)

 

Rien ne semble expliquer ce mystérieux ralentissement.

 

 

Serge Reynaud nous explique ce soir les possibilités qui s'offrent à nous : est ce un artefact (parasite) ou doit on modifier les lois de la physique dans le cas de distances de l'ordre de grandeur du système solaire, ou est ce l'influence d'une mystérieuse matière noire?

 

L'anomalie de Pioneer serait-elle le premier signe d'une altération des lois de la gravitation à cette échelle ?

 

 

 

 

 

La salle de l'Atelier est déjà presque pleine.

 

 

LA RELATIVITÉ GÉNÉRALE.

 

On commence par nous expliquer la Relativité Générale en quelques idées simples.

 

La Relativité Générale (RG) c'est en fait le principe d'équivalence; en termes simples, il affirme que les effets d'un champ gravitationnel sont en tous points semblables aux effets d'une accélération uniforme. C'est l'ÉQUIVALENCE entre la masse "grave" (ou masse pesante) et la masse "inertielle" s'opposant à la mise en mouvement.

En termes plus compliqués, on dit que le champ de gravité définit une métrique (une métrique est une distance entre les éléments d'un ensemble) dans un espace de Riemann.

 

Pour ceux qui ont, comme moi, besoin d'un rafraîchissement des connaissances sur les lois physiques liées à la Relativité, on peut consulter cet excellent cours de B Berche du Laboratoire de Physique des Matériaux de Nancy. (attention, beaucoup de maths!). le principe d'équivalence se trouve page 144 et la gravitation relativiste page 160.

 

 

Ce principe d'équivalence a été mis à l'épreuve de la pratique, il a donc subit des "test" pour vérifier sa véracité. (slide de droite).

À ce jour il est vérifié a mieux que 10-12 de précision par notamment l'expérience LURE (Lunar Laser Ranging Experiment, autrement dit, visée Laser vers la lune de nos amis de l'OCA par exemple).

 

 

TESTS DE LA RG.

 

De même on veut tester les équations d'Einstein, c'est à dire tester aussi la RG.

À cet effet on cherche à la confronter à une théorie plus "avancée" que l'on appelle métriques "Paramétrisées Post Newtoniennes" ou métriques PPN , en anglais "Parameterized post-Newtonian formalism".

 

Je ne peux pas vous en dire plus, admettons que ce soit un outil pour tester la gravitation à ses limites, là où les dimensions sont énormes par exemple. Pour la petite histoire c'est Eddington qui eut le premier l'idée de telles métriques.

 

 

 

Ce qu'il faut retenir c'est qu'un tel outil est défini par deux paramètres b (qui caractérise la non linéarité de la gravité) et g (qui caractérise la courbure de l'espace) qui caractérisent l'éloignement par rapport à la RG classique. Plus ces deux paramètres sont proches de 1, moins les lois s'éloignent de la relativité classique.

 

Cela fait trente ans que l'on teste la RG avec diverses expériences comme : radar vers les planètes; et les dernières expériences de Cassini dans la banlieue de Saturne.

 

 

 

Tous ces tests conduisent à des valeurs des deux paramètres que l'on peut placer sur un graphique (voir à gauche © Slava Turyshev JPL/NASA), le cas de la RG est bien évidemment pour ces deux paramètres valant 1.

 

On en déduit que la théorie de la gravitation est très proche de la RG.

 

 

 

Ce graphique peut aussi être représenté d'une autre façon :

 

On représente en vertical une échelle (log) proportionnelle à la précision et en horizontal une échelle (log) proportionnelle à la distance.

Les différents tests sont marqués sur la figure : soit en laboratoire, soit par méthodes géophysiques et d'études de satellites (LAGEOS); soit par mesure radar sur la lune (LLR) et plus récemment par les planètes.

On remarquera l'excellente précision des vérifications dans le cas de distance correspondant à la distance Terre-Lune (10-8)

 

Les couleurs correspondent aux différentes époques de mesure , bleu clair en 1981, vert en 1998 et rouge récemment en 2003.

 

 

 

 

On remarque avec ces courbes, que la loi de Newton a été parfaitement testée entre des dimensions de l'ordre du mm et de l'ordre des distances planétaires.

 

Pourquoi chercher plus loin, car il existe des anomalies en astrophysique : l'incompatibilité entre la RG et la MQ; des anomalies gravitationnelles dues à l'énergie noire et à la matière noire; l'expansion accélérée de l'Univers; l'effet Pioneer.

 

On va donc s'intéresser  à ce qui n'a pas été vérifié dans ce graphique précédent:il nous reste deux fenêtres d'étude accessibles à des futurs test : les courtes distances et les grandes distances.

 

 

On va procéder à des recherches dans la fenêtre à courte distance : par mesure de gravité à courte distance et même à très courte distance en faisant intervenir l'effet Casimir. Ne pensez pas à ce personnage pour enfant, l'effet Casimir tient son nom du physicien Hollandais Hendrik Casimir c'est une force attractive entre deux plaques parallèles conductrices et non chargées[

Cet effet, est dû aux « fluctuations quantiques du vide », et c'est très sérieux.

Jusqu'à présent aucune déviation n'a été mise en évidence dans cette fenêtre.

 

La fenêtre à longue distance va être plus intéressante. Là il faut faire des tests de distances les plus grandes possibles, et si possible travailler à l'échelle galactique.

Et c'est là que les sondes Pioneer sont entrées en jeu; la NASA a décidé de les engager pour ces tests longue distance; avec le résultat que l'on connaît maintenant : il y a une anomalie avec ces sondes.

 

 

LES SONDES PIONEER.

 

Les sondes Pioneer lancées dans les années 1970 étaient prévues pour aller examiner les planètes Jupiter et Saturne.

Après les rebonds gravitationnels nécessaires, elles ont été dirigées vers dans deux directions opposées de l'espace.

 

On a tout de suite pensé utiliser ces objets afin de vérifier les lois de la gravitation.

 

Jusqu'à présent, ces lois ne sont pas confirmées au niveau de ces sondes.

 

 

 

 

C'est ce que l'on a appelé l'effet Pioneer ou l'anomalie Pioneer.

 

 

 

 

 

 

Les études ont commencé en 1979 après le passage de Saturne, et l'anomalie commence a être détectée à partir de 1980; il semble qu'il y ait une force (très faible :correspondant à une accélération de 9 10-10 m/s/s) en direction du Soleil qui RALENTISSENT LES DEUX SONDES DE LA MÊME VALEUR.

 

Les résultats ont mis près de …..20 ans à être publiés et ont confirmé la réalité de cet effet.

 

 

On s'en aperçoit dès que les sondes dépassent 10 à 15 UA et que la pression de radiation du Soleil devient plus faible, elles n'obéissent plus à la règle.

(courbe de gauche)

 

Comme on le voit sur la diapo ci contre.

 

 

La courbe de droite correspond à la variation par rapport à ce que l'on devrait constater; l'écart quoique faible est FLAGRANT et identique pour les deux sondes.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais comment peut on "détecter" la position de ces sondes?

 

En fait elles sont parfaitement stabilisées dans l'espace et sont comme le dit S Reynaud, un parfait navigateur inertiel (elles tournent sur elles même 4 tour/minute contrairement aux Voyagers) et leurs positions sont déterminées par effet Doppler : un signal de fréquence f1 est envoyé de la Terre vers la sonde; il est reçu et renvoyé automatiquement (par son transpondeur comme à bord des avions de ligne) vers la Terre qui le reçoit à la fréquence f2.

La rapport de fréquence obéit à la loi de Doppler-Fizeau (tient compte de la vitesse de la lumière c) :

 

f1/f2 = (1-v/c)/(1+v/c)

 

On tient compte dans ce calcul de toutes les corrections relativistes et gravitationnelles; et l'on peut représenter en fonction de la distance l'écart par rapport à un trajet "normal".

 

On remarque que si l'on trace sur une courbe (à gauche © Slava Turyshev) l'ÉCART entre la vitesse mesurée et la vitesse calculée d'après le modèle, on obtient une courbe qui varie linéairement avec le temps.

 

 

 

 

Il y a donc bien une accélération constante qui s'oppose au mouvement, elle a une valeur approximative de :

ap  =  0,9 10-9 m/s2

 

 

Pour donner un ordre de grandeur de l'anomalie, cela correspond en ce moment où ces sondes sont aux alentours de 100UA (15 milliards de km) à une "erreur" de position de l'ordre de grandeur de la distance Terre-Lune (400.000km), c'est faible mais non nul.

 

 

D'OÛ VIENT CETTE ANOMALIE?

 

Tout a été passé en revue par les scientifiques du JPL.

Erreurs systématiques :

·        fuite de gaz (propergol)

·        fuite thermique due au générateur isotopique (Pu238), les RTG (produit 60W en ce moment)

·        autre perte thermique à l'intérieur de la sonde

·        conception de la sonde

·        erreurs de mesures dans les stations au sol

 

Erreurs externes :

·        pression de radiation

·        vent solaire

·        poussières interplanétaires

·        influence de petits corps dans le système solaire comme ceux de la ceinture de Kuiper

·        influence galactique

·        influence due à la matière boire

·        erreurs dans les éphémérides

 

Erreurs dues au modèle :

·        dérive des horloges

·        etc…

 

Les données depuis le lancement et sur une durée de trente ans, ont été toutes analysées plusieurs fois (pas facile, les supports physiques ont changé plusieurs fois pendant cette période, les ingénieurs sont partis à la retraite etc..), pour voir si on n'avait pas oublié quelque chose.

Mais non, nous dit Serge Reynaud, donc :

 

 

TOUTES CES CAUSE POSSIBLES ONT ÉTÉ QUANTIFIÉES ET REJETÉES.

 

Slava Turyshev du JPL a passé en revue tous les paramètres pouvant influés sur le mouvement des sondes, on retrouve tout cela dans cette excellente présentation pdf d'une trentaine de slides, présentée à l'occasion des journées du GREX (Gravitation et Expérience dans l'espace) 2005.

 

 

 

 

 

 

 

 

UNE QUESTION SE POSE MAINTENANT : L'ANOMALIE EST ELLE COMPATIBLE AVEC LES AUTRES TEST?

 

Rappelons que l'accélération newtonienne au niveau des sondes est de l'ordre du micro m/s2 alors que l'anomalie est 1000 fois plus petite de l'ordre du nano m/s2.

 

Donc on ne peut pas dire que l'anomalie Pioneer viole le principe d'équivalence.

 

Mais l'équation de Einstein peut être modifiée à l'aide de corrections radiatives impliquant une modification de la métrique, par analogie avec l'électromagnétisme.

 

La première correction pourrait correspondre à une modification possible de la gravitation newtonienne, c'est à dire du potentiel de Newton, ou de la constante de gravitation G qui ne serait plus constante.
La deuxième correspondrait à une modification du coefficient gamma qui détermine la courbure spatiale, et la déflexion de la lumière.
Ce coefficient vaut 1 en relativité générale, est constante dans le formalisme PPN, et pourrait ici être une fonction de la distance au soleil.

 

 

À partir de là, mes chers amis, je dois avouer que j'ai décroché, et en conclusion, j'ai compris qu'il fallait poursuivre l'étude de tels phénomènes, c'est d'ailleurs indirectement le but de certaines missions importantes comme GAIA et LISA et de plus modestes comme MICROSCOPE dont nous avons parlé sur ce site (S Reynaud y participait).

 

 

L'anomalie de Pioneer serait-elle le premier signe d'une altération des lois de la gravitation à grande échelle ?

 

 

 

 

 

 

POUR ALLER PLUS LOIN.

 

 

Sur l'équipe internationale qui s'occupe de cet effet, à l'ISSI (International Space Science Institute) à Berne.

 

Article pdf (2,7MB) de Slava Turyshev sur les test de la gravitation dans le système solaire (anglais). Excellent.

 

Un article de la NASA simple sur la RG. (anglais)

 

Questions et réponses sur les sondes Pioneer par la NASA.

 

L'anomalie Pioneer par nos amis de la Planetary Society. (anglais).

 

Une grande partie de la conférences de S Reynaud se trouve ici en format de présentation pdf. (anglais)

 

Et aussi dans cette présentation pdf écrite pour le festival d'astronomie de Fleurance.

 

Les missions futures, LISA, Microscope, pharao etc.. dans ce pdf de 9MB.

 

Cet APOD sur l'effet Casimir (anglais).

 

Les tests de la Relativité Générale chez Wikipedia (anglais).

 

Une mission pour explorer l'anomalie Pioneer par S Reynaud et al , pdf de 9 pages.

 

 

Sur ce site , rappel :

 

La gravitation à l'épreuve de l'espace, débat du CNES.

 

Newton est il toujours actuel?

 

Que se passe t il avec nos émissaires planétaires?

 

 

 

 

 

 

C'est tout pour aujourd'hui!

 

 

Bon ciel à tous

 

Jean-Pierre Martin  http://www.planetastronomy.com/