Mise à jour le 21
Janvier 2006
CONFÉRENCE DE
MARC LACHIEZE REY
Directeur de
recherche CNRS,
Astrophysique
CEA Saclay
"VERS LA GRAVITATION QUANTIQUE ?"
Organisée par la
SAF
Dans ses locaux,
3 rue Beethoven, Paris
Le Samedi 14 Janvier 2006 à 15H00
à l'occasion de la réunion de la Commission Cosmologie.
Photos : JPM pour
l'ambiance. (les photos avec plus de résolution peuvent m'être demandées
directement)
Compte rendu de
Bernard Lelard et JPM
Merci à Claude
Picard, Président de la Commission, d'avoir relu et apporté quelques
corrections à ces notes.
BREF COMPTE RENDU
Il y avait foule ce samedi comme pour tous
les grands événements de cosmologie de la SAF.
|
Voici
l'introduction du conférencier : "Aujourd'hui,
notre physique est dominée par deux grands corpus théoriques : la relativité
et la mécanique quantique. Malheureusement,
ils semblent inconciliables, et chacun nécessite une conception du
monde qui s'oppose à celle de l'autre. Ces problèmes sont
particulièrement apparents lors de l'étude de l'univers primordial, des
trous noirs et de la nature du vide. Les théoriciens
cherchent une nouvelle théorie qui harmoniserait la physique. Je montrerai les
raisons de l'incompatibilité actuelle et exposerai quelques unes des pistes
suivies pour chercher cette nouvelle théorie (gravité et géométrie
quantiques, géométrie non commutative, supercordes), et leurs
implications possibles." |
La Gravitation
Quantique est la branche de la physique théorique tentant d’unifier la
Mécanique Quantique et la Relativité Générale. Le point d’interrogation du
titre a son importance car le sujet est ouvert et permet le doute.
Notre physique
d'aujourd'hui est donc divisée en deux :
·
la théorie de
la relativité
·
la physique
quantique
LES
THÉORIES DE LA RELATIVITÉ :
Historiquement, il
y a eu trois stades dans la réflexion d'Albert Einstein:
La Relativité Restreinte (1905), la
Relativité Générale (1916) et la cosmologie relativiste (1917).
Après la
Relativité Restreinte (RR), il sait qu'il manque quelque chose et il veut
inclure la gravitation. Cela aboutit en 1916 avec la relativité générale (RG)
qui conserve les acquis de la RR mais augmente la richesse de structure de
l'espace-temps ; celui-ci a une forme, une courbure et une topologie.
En
1917, Albert ajoute une constante cosmologique à ses équations de champs
afin de contrer les solutions dynamiques des modèles d'Univers. C’est le point
de départ de la cosmologie relativiste. L’Univers devient un objet physique
constitué par l’ensemble de l’espace-temps que la Relativité Générale peut décrire et mettre en équations.
Les théoriciens
ont utilisé diverses géométries à toutes les époques, avec aujourd’hui la
notion de "variété" destinée à nommer des objets mathématiques
de plus en plus complexes. Chaque théorie se base sur une
géométrie particulière : la géométrie euclidienne pour Newton, la
géométrie riemannienne pour la RG, et aujourd’hui on parle de la géométrie non
commutative de Connes.
NAISSANCE
DE LA PHYSIQUE MODERNE.
Les philosophes
grecs ont inventé la géométrie de la Nature. Pour Platon : "Nul
n’entre ici s’il n’est géomètre".
Newton utilise
l’espace physique géométrisé en R3 pour calculer les phénomènes qui
"forcent" les objets à tomber par terre - d’où le terme de
"force". Einstein utilisera d’autres outils (les tenseurs) pour
énoncer que la gravitation est générée par les masses qui déforment
l’espace-temps.
Einstein n’a pas
cherché à répondre à un problème précis. Il y avait à son époque plusieurs
problèmes sans solutions : l'actions à distance sans contact inexpliquée
par Newton, l’expérience de Galilée où dans un même champs de gravité tous les
corps tombent en même temps (principe d’équivalence), avance du périhélie de
mercure…
Dans le système
solaire, la physique d’Einstein et celle de Newton se confondent en général car
les champs gravitationnels restent faibles, à l’exception de l’avance du
périhélie de Mercure due à sa proximité avec le Soleil. Ce n'est pourtant pas
toujours vrai : le GPS ne fonctionnerait pas si l'on n'appliquait pas les
corrections dues à la Relativité Générale !!
LA
COSMOLOGIE D'EINSTEIN
Par sa
communication de 1917 Einstein ramène la cosmologie à l’étude de
l’espace-temps. Le modèle du Big Bang a été progressivement élaboré et dépend
des constantes fondamentales choisies.
Ainsi, par
l’observation, on estime les différents paramètres de l’espace-temps, notamment
la constante de Hubble qui lie le taux
d’expansion de l’Univers à la dérivée première par rapport au temps du facteur
d’échelle a(t).
Sa dérivée seconde
donne le paramètre de décélération de l'Univers. C’est une composante que nous
essayons actuellement de mesurer (notamment son signe qui devrait être négatif
puisqu'il semble s'agir d'une accélération). Est ce dû à la constante
cosmologique dont la réalité physique nous échappe, ou à une autre
"énergie exotique" inconnue dont l'action tend à accélérer
l'expansion? Cette accélération est-elle constante ou variable dans le temps ?
Il faut noter que
la masse cachée (découverte par Zwicky) n’est pas un problème cosmologique.
C’est un problème de cinématique des galaxies (entre autres).
Nouveau
problème récent: les trajectoires des sondes Pioneer échappent aux
calculs et les sondes subissent des accélérations inexpliquées, qui peuvent
provenir soit d'une modélisation insuffisante de phénomènes connus, soit de
phénomènes inconnus, dont on peut espérer qu'ils pourraient également fournir
une des clefs qui nous manquent.
SUR LA
VOIE DES NOUVELLES PHYSIQUES
Il existe donc en
résumé des indices disant que notre physique actuelle n’est peut être pas la
bonne. Cela n’a rien à voir avec la cosmologie dont la théorie du Big Bang
n’est pas en cause. Il faut donc rechercher une nouvelle physique.
Principe :
théorie avant expérience, les données observationnelles viendront dans un
second temps.
Du côté quantique,
la "théorie quantique des champs" est une synthèse de la
Relativité Restreinte et de la mécanique quantique qui permet de réunir les
interactions faible et électromagnétique d'une part, forte d'autre part, et
nous ne disposons pas à ce jour de synthèse générale de ces deux aspects. Le
problème est que ces théories font des prédictions très bien vérifiées mais
sans fondement mathématique : le modèle standard fait appel à 17
paramètres libres alors que la Relativité Générale n’en utilise que 2
(constantes cosmologique et gravitationnelle).
La théorie
quantique des champs donne des résultats très précis (laser, transistors… ). Il
existe donc une réalité quantique incontestable mais elle induit quelques gros
problèmes comme celui de la non localité (certains objets occupant tout
l’Univers) par exemple.
Donc nous sommes
face à des contradictions et des problèmes fondamentaux, ce qui nous place dans
une situation analogue à celle vécue par Einstein en 1905 (notamment après
l'expérience de Michelson et Morley sur la constance de la vitesse de la
lumière). Ces problèmes actuels traduisent des conceptions différentes du monde
et les problèmes apparaissent dans des cas extrêmes, dans les trous noirs et
dans l'appréhension de l’Univers primordial.
En relativité, le
temps absolu n’existe pas et il dépend du repère dans lequel on le mesure,
alors qu’en mécanique quantique il faut un temps. La nature du temps inexistant
d’un côté, existant de l’autre, pour des mêmes évènements, est en cause
En relativité,
l’espace est courbe, en mécanique quantique l’espace est plat. Les forces
existent en mécanique quantique, pas en Relativité Générale pour la gravitation.
Il faut donc
construire une théorie où la gravité serait quantique et les premiers essais
ont échoué.
L’énergie d’un
électron par exemple est la somme des énergies de tous ses états possibles. Or
cette somme est infinie !
Pour lever les
problèmes d’infinis, les théoriciens utilisent la procédure mathématique dite
de "renormalisation". Malheureusement cette procédure ne peut
pas s’appliquer à la gravitation ainsi, par une "simple"
généralisation de la physique quantique actuelle
Parmi les nouvelles
idées (théories) figure la Super-Symétrie.
Elle tente d’unifier les interactions, les particules fondamentales et
l’espace-temps. Il s’agit, entre autres, d’unifier par symétrie les fermions et
les bosons (les fermions pouvant être des bosons miroirs et réciproquement) et
donc d’imaginer des nouvelles particules à découvrir. Cette nouvelle symétrie
étend alors la symétrie de l’espace à l’espace-temps avec des mathématiques
complexes et inclut en partie la gravitation.
Le rapprochement
entre la physique quantique et la Relativité Générale se heurtent à la notion
de point qui induit des infinis (détournés par la renormalisation) et qui n’est
pas localisé par le principe d’incertitude.
La nouvelle
théorie ne sera donc pas ponctuelle; trois pistes sont suivies:
·
la théorie
des cordes
·
la géométrie
quantique
·
la géométrie
non commutative
Dans la théorie
des cordes, les points sont remplacés par des cordes, des objets ayant une
taille non nulle. L’espace-temps continu y devient discret donc quantique, sans
point. La difficulté des points est contournée. Seulement contournée.
En gravitation
quantique, les théoriciens ont imaginé des représentations en réseaux et en
grilles mais l’adaptation en physique était imparfaite.
Alain Connes développe une géométrie non commutative permettant de considérer
l’espace autrement que par un ensemble de points. L’espace devient discret
(discontinu) mais garde les propriétés de symétrie.
|
|
Nos spectateurs sont très attentifs comme
on le voit sur ces photos: à gauche Bernard Lelard prend des notes, à droite
c'est Claude Picard au premier plan, en pleine action avec son bloc!
COMMENT
ALLER PLUS LOIN ?
Einstein a passé
sa vie à vouloir unifier l’électromagnétisme et la gravitation (il ne
connaissait pas les 2 autres interactions), il n'y est jamais arrivé mais il
eut beaucoup d'idées :
D’abord en
utilisant l’espace de Kaluza-Klein
qui ajoute une dimension supplémentaire aux 4 de l’espace de Minkovski. Cette
5ème dimension était recourbée, toute petite, et permettait de prendre en
compte l’électromagnétisme, mais pas ses aspects quantiques
Ensuite en
utilisant la théorie de Weyl qui rajoutait une symétrie supplémentaire
(transformation d’échelle) pour décrire
géométriquement l’électromagnétisme. Après la découverte de la nature quantique
de l’électromagnétisme, la théorie fut abandonnée mais l'idée devint la " théorie
de jauge" largement utilisée ensuite dans les théories quantiques
modernes.
Aujourd’hui,
les théoriciens veulent rapprocher ces idées. La théorie des cordes devient un prolongement de l’espace de
Kaluza-Klein. Elle est très compliquée du point de vue mathématique. On doit en
particulier lui adjoindre la Super Symétrie, ce qui porte le nombre des
dimensions à 10 voire 11.
Ses objets
fondamentaux sont des cordes à une dimension ou des objets à des dimensions
supérieures : les branes. D’autres
théories émergent : des landscapes, au dessus des cordes il y a des
paysages. Elles débouchent sur le principe d’entropie. Il y a ainsi plusieurs
Univers avec des constantes fondamentales différentes. Tout ceci génère
énormément de possibilités.
L’idée actuelle
est que pour une préciser une nouvelle théorie il faut partir de la gravitation
puis se rapprocher des autres interactions.
Les phénomènes
connus s’expliquent parfaitement selon qu’ils s’adressent soit à la relativité,
soit à la physique quantique. Vouloir confondre les 2 notions est extrêmement
complexe. Nous sommes bien entre de deux mondes.
Pourquoi de
nouvelles dimensions, des cordes, des branes, des supersymétries, des
superparticules ? Pourquoi de nouvelles géométries ? Pour découvrir de nouvelles frontières du
monde qui nous entoure. Avec une nouvelle physique, la théorie M, la théorie du
tout, peut être.
Le point
d’interrogation du début était bien justifié
POUR
ALLER PLUS LOIN
M Lachièze Rey est
un auteur très prolifique, on pourra consulter en particulier trois de ses
ouvrages :
Au delà de
l'espace et du temps, Le Pommier 2004 |
Les avatars du
vide, Le Pommier 2005 |
Initiation à la
cosmologie chez Dunod (il y a pas mal de maths..) |
Le conférencier
nous conseille :
**Le livre de Lawrence Krauss :
"Hiding in the mirror", The Mysterious Allure of Extra Dimensions,
from Plato to String Theory and Beyond, (en anglais) dont voici la présentation
faite par Amazon :
From
Publishers Weekly
There are few scientific ideas as captivating as the notion that our universe
might have other dimensions than the three (plus time) that we experience.
Physicist Krauss offers an erudite and well-crafted overview of the role
multiple dimensions have played in the history of physics. This isn't an easy
book, even with a writer as talented as Krauss (whom some will recognize as the
author of The Physics of Star Trek and Beyond Star Trek) serving as one's
Virgil. Long on science and short on its connections with culture, the book is
essentially an introduction to the physics and mathematics of extra dimensions
with a few more or less disconnected chapters that touch on how these ideas
show up in art and popular culture; there's more on brane-world and the
ekpyrotic universe than on Plato's cave, whose inhabitants could not perceive
reality in all its dimensions, or Buckaroo Banzai. Those who are willing to put
in the requisite effort will be amply rewarded with a unique and impressive
survey of scientists' astonishing and evolving understanding of the nature of
the universe in all its visible and hidden dimensions. (Oct. 24)
Copyright © Reed Business Information, a division of Reed Elsevier Inc. All
rights reserved.
Book Description
Beginning well before Plato’s allegory of the cave and continuing to modern
scientific breakthroughs from relativity to quantum mechanics, as well as to
pop cultural icons like Twilight Zone and Star Trek, human beings have
imagined, even longed for, alternate realities. Lawrence M. Krauss, one of the
most gifted and engaging of writer-scientists today, examines why we have often
believed that the answers to the great questions about existence lie in the
possibility that we live in a universe more complex than we can see or
otherwise sense. Drawing on work by scientists, mathematicians, artists, and
writers—from Einstein to Picasso to C. S. Lewis—Hiding in the Mirror explores
whether extra dimensions simply represent abstract speculation or hold the key
to a deeper understanding of the universe. Krauss examines popular culture’s
embrace— and misunderstanding—of topics such as black holes, life in another
dimension, string theory, and some of the daring new theories that propose that
large extra dimensions exist alongside our own. This is popular science writing
at its best and most illuminating—witty, fascinating, and controversial.
** Le livre de Peter Woit de la Columbia University : "Not even
wrong" The Failure of String Theory & the Continuing Challenge to
Unify the Laws of Physics qui est aussi le nom de son blog.
Rappelons que
cette expression (It is not even wrong = ce n'est même pas faux) est de Wolfgang Pauli,
à propos d'une personne qui cherchait son soutien sur un de ses travaux.
Ce livre va
paraître en Avril 2006 (anglais).
Voici une courte description : How does the world
work and what is mathematics’ role in its description? An authoritative and
well-reasoned account of string theory’s fashionable status among today’s
theoretical physicists, and promising new directions, including the role of
beauty in mathematics and physics
Sur Internet voir
ces quelques références :
Superbe
présentation Power Point de 4MB de l'observatoire de Nice sur la cosmologie
des Grecs jusqu'aux branes.
Dépasser
la Relativité Générale et la Théorie Quantique des Champs. Texte de la
présentation de P Maulion à la SAF le 25 juin 2005
Le site superbe de WMAP pour tout
savoir simplement et clairement sur la cosmologie : OBLIGATOIRE un must!
Sue ce site
Espace
temps et relativité conférence par M Lachièze Rey pour l'année Einstein.
Quand
l'infiniment grand rencontre l'infiniment petit conférence de P Peter pour
l'année Einstein.
La
géométrie non commutative par D Lambert conférence pour l'année Einstein
L'unification
des lois de la physique par J Kouneiher conférence pour l'année Einstein
La
forme de l'espace par JP Luminet conférence pour l'année Einstein.
Gravitation
et cosmologie par N Deruelle conférence à l'IAP.
Bon ciel à tous
Jean Pierre Martin SAF Commission de Cosmologie