Mise à jour le 26 Mars 2007
 
     
CONFÉRENCE de MATHIEU LANGER
Astrophysicien à l'IAS (Institut d'Astrophysique Spatiale)
"LA FIN DES AGES SOMBRES"
Organisée par la SAF
Dans ses locaux, 3 rue Beethoven, Paris
 
Le Samedi 17 Mars 2007 à 15H00
à l'occasion de la réunion de la Commission Cosmologie.
 
Photos : JPM pour l'ambiance. (les photos avec plus de résolution peuvent m'être demandées directement)
Les photos des slides sont de la présentation de l'auteur. Voir les crédits des autres photos 
Comme d'habitude, la présentation PPT complète est sur le site de la SAF quelques jours après.
Un grand merci à Mathieu Langer qui a eu la gentillesse de relire et de corriger et de compléter mon texte.
 
 
BREF COMPTE RENDU
 
 
Beaucoup de monde un samedi après midi malgré France-Écosse (on a gagné!)
 
 
 
 
Mathieu Langer est un jeune chercheur de l'IAS (Université d'Orsay), il est aussi Maître de conférences à cette Université (MQ).
 
Il a passé sa thèse il y a quelques années sur le sujet suivant : "l'origine des champs magnétiques en cosmologie et formation des galaxies".
Ses sujets de recherches sont entre autres : les premières populations d'étoiles, la ré-ionisation, le CMB, la cosmologie etc..
 
Il nous parle aujourd'hui de cette période que l'on appelle "age sombre" (dark ages en anglais),
Voici son introduction :"Au cours de mon intervention, je discuterai la formation des premières étoiles, appelées aussi Population III. Cet événement marque la fin de ce que l'on appelle désormais "Les âges sombres cosmiques", cette période de l'histoire de l'Univers qui s'étend de la recombinaison à la ré-ionisation. Je replacerai cette problématique dans le cadre de la théorie de la formation des structures. J'évoquerai les processus physiques clefs, et je présenterai quelques prédictions des modèles actuels, sans doute encore incomplets. Je tenterai de résumer les possibilités observationnelles présentes et planifiées."
 
 
 
Afin de bien se préparer à cet exposé, voici ce que disais à propos de ces ages sombres dans un ancien astronews :
 
Plongeons nous dans le passé de notre Univers tel qu'on le conçoit aujourd'hui : il y a 14 Milliards d'années, le Big Bang remplit l'Univers naissant de particules telles que électrons, noyaux d'Hydrogène d'Hélium etc…
L'Univers se dilate et donc se refroidit; les électrons et les ions commencent à se combiner pour former des atomes et la première lumière correspondant au bruit de fond cosmologique vers les 300.000 ans. (période appelée improprement la recombinaison)
De cette lumière il reste le bruit de fond cosmologique ou CMB (Cosmic Microwave Background).
 
Mais ces atomes de plus en plus nombreux vont absorber cette lumière fossile comme un brouillard, aucune étoile n'illumine encore l'espace,(d'où l'adjectif sombre) et l'Univers va entrer dans une période que l'on appelle les ages sombres (dark ages); cette période va durer plusieurs centaines de millions d'années, jusqu'à ce que les premières étoiles et galaxies produisent d'intenses rayonnements UV.
 
Ces premières étoiles et leurs radiations commencent à percer le brouillard, mais les UV ont la propriété d'ioniser les atomes (les séparer en charges + et -) c'est la raison pour laquelle cette phase est appelée ré-ionisation car la première ionisation était primordiale au moment du BB.
 
En vérité, ces atomes (pas vraiment de plus en plus nombreux) n’absorbent pas la lumière fossile, mais la laissent passer, sans aucune interaction. Cependant, dans cette soupe neutre, aucun événement énergétique n’a lieu : il n’y a pas encore de sources lumineuses.
C’est pour cela que cette période s’appelle Ages Sombres.
 
C'est de cette période, située entre le CMB (approx 300.000 ans) et la ré-ionisation (approx de 500 millions d'années) Notez que l’on ne sait pas encore quant la ré ionisation commence ! On sait qu’elle s’est terminée aux alentours de z=6.5, soit approx 857 millions d’années,
que va nous parler Mathieu Langer.
 
 
 
Remettons nous en tête cette chronologie grâce à ces illustrations dues à nos amis Américains.
 
 
 
Illustration de cette chronologie de l'évolution de l'Univers par NASA/WMAP.
 
La période des ages sombres est située après le CMB (afterglow light) et avant les premières étoiles.
 
 
En cliquant sur l'image vous l'aurez en Haute Résolution.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Avec un peu plus de détails des différentes époques.
 
Les points bleus du CMB sont des zones froides, les rouges des zones chaudes.
 
Les zones chaudes sont des zones de surdensité, elles seront les graines des futures galaxies.
 
Les relevés de WMAP après trois années d'opérations, conduisent à la détermination des différents paramètres cosmologiques.
 
Densité de matière totale (par rapport à la densité critique) : 0,3  (oméga m)
Densité mat. visible (baryonique) : 0,04 (oméga b)
Constante cosmologique : 0,7 (oméga lambda)
 
 
 
 
On peut aussi consulter ce graphe de l'ESO contraignant ces trois paramètres. La zone jaune correspondant à un Univers plat euclidien, ce qui semble être notre cas actuellement.
 
La matière (visible et noire) forme des halos; celle ci interagit par gravité, les surdensités les plus fortes s'effondrant plus rapidement que les autres.
 
Il y a formation hiérarchiques de structures comme pour un arbre, l'épaisseur de la branche étant proportionnelle à sa masse (cela s'appelle d'ailleurs "merger tree" en anglais), les plus petites structures rencontrent des plus grandes .
Les petits d'abord!
Le temps se déroule du haut vers le bas, to est le temps présent.
 
(dessin tiré de Lacey & Cole 1993)
 
Ces formations ont été testées avec des simulations dans des calculateurs puissants comme ceux de Kravtsov et Klypin que l'on peut trouver sur Internet à l'Université de Chicago.
Et notamment le film de 10MB en format mpeg qui va de z=28 à z=0.
 
 
Aussi trouvé sur Internet :
 
 
Les filaments de matière se créent, à l'intersection de ces filaments, naissent les premiers amas de galaxies.
 
 
 
On peut voir une vidéo en streaming (on ne peut donc pas la mémoriser) sur le site du magazine Allemand Der Spiegel.
 
 
 
 
 
 
À l'époque du début de l'Univers, on peut décrire commodément ce milieu par la mécanique des fluides, comme indiqué sur la diapo :
 
 
K est les nombre d'onde (inverse de la longueur d'onde) et c la vitesse du son dans le milieu, a le facteur d'échelle lié au temps.
On aboutit à l'équation ci dessus.
C'est en fait une compétition entre l'effet thermique de la pression (le premier terme de la parenthèse) et l'effet gravitationnel (le deuxième terme).
 
Il y a donc une limite qui sépare ces deux régimes, caractérisée par la longueur d'onde de Jeans lJ  :
 
Si la longueur d'onde est > lJ  la gravité fait effondre l'ensemble, nous sommes à grande échelle;
Si la longueur d'onde est < lJ  la pression provoque un régime d'oscillations.
 
 
 
 
À cette longueur de Jeans correspond une masse de Jeans, qui est la masse d'une sphère de diamètre lJ  :
 
Cette masse de Jeans est proportionnelle à    T 3/2 x  r-1/2   donc en fonction de l'expansion on a des structures différentes.
 
 
Ce qui nous amène au graphe suivant.
 
Ce graphique représente en ordonnée l'évolution de la masse de Jeans en fonction en abscisse du temps.
 
La courbe verticale pointillée bleue correspond à la période où il y a eu égalité entre matière et rayonnement (au début).
 
La courbe horizontale pointillée rouge représente la masse d'une galaxie typique (1012 masses solaires).
 
On remarque que la densité d'énergie du rayonnement diminue plus vite que ne diminue la température, et qu'à un moment se produit la recombinaison (courbe pointillée jaune) qui sépare la courbe d'évolution de la masse de Jeans en deux, à gauche oscillation, à droite effondrement gravitationnel.
 
 
 
La courbe rouge correspond aux petites structures à l'amortissement de Silk (Silk damping en anglais).
 
 
 
 
 
L’enveloppe de la partie jaune délimite donc les structures suffisamment massives pour s’effondrer (« Instabilité ») de celles qui en sont empêchées par la pression de radiation (« Oscillations »).
Dès que le rayonnement est découplé de la matière (i.e. à la recombinaison, pour simplifier), la pression du fluide baryonique seul n’est plus suffisante, les fluctuations de petites masses aussi peuvent s’effondrer (du moins, celles qui n’ont pas été entièrement lavées par l’amortissement de Silk).
 
 
LA FORMATION DES PREMIÈRES ÉTOILES.
 
 
 
Le disque proto galactique, se forme à partir de cet ensemble de matière baryonique (en bleu) et de matière noire (en noir), par condensation au cœur du halo en perdant de l'énergie par rayonnement. Il se produit un phénomène de virialisation (que je suis incapable d'expliquer correctement ici), correspondant à la mise en œuvre du théorème du viriel ce qui doit rappeler certains souvenirs à quelques uns d'entre vous.
 
À haute température, le refroidissement du gaz dans l'Univers est piloté par les recombinaisons de Fe, C , H atomiques et à faible température par les transitions moléculaires (notamment CO).
 
Le gaz doit perdre de l'énergie pour se condenser en étoiles, donc refroidir.
 
En simplifiant :
Pour T > 104 K refroidissement par H atomique et
Pour T < 104 K refroidissement par H moléculaire.
 
 
 
 
Les capacités de refroidissement dépendent de la métallicité.
 
En effet et de façon succincte: la perte d’énergie par rayonnement est fonction des transitions disponibles entre les divers états quantiques des atomes. Plus il y a d’éléments lourds (au delà de l’Hélium), plus nombreuses sont ces transitions possibles.
Du coup, on voit bien que dans un milieu primordial, non encore enrichi en éléments lourds, les seules transitions possibles sont celles de l’atome d’Hydrogène (+ celles de l’Hélium), et de ses composites, i.e. la molécule H2 (et marginalement la molécule HD).
 
 
 
 
Une chronologie de l'Univers vue par les scientifiques de Spitzer qui n’hésitent pas à attribuer les fluctuations du Fond Diffus Infrarouge à une contribution des Premières Étoiles.  Peut-être ont-ils raison ? L’avenir nous le dira. .
 
 
 
L'œuf et la poule : qui c'est formé en premier?
On pense maintenant que ce sont les étoiles qui se sont d'abord formées et ensuite ont donné naissance aux galaxies et amas de galaxies:  c’est en accord avec le scénario hiérarchique de formation des structures, « les petits d’abord ».
 
 
 
 
Comment se sont formées ces premières étoiles?
La vision classique :
·        Effondrement de gaz dans les premiers halos de matière noire
·        La masse de ces halos est de l'ordre de 100.000 masses solaires
·        Absence d'éléments lourds, refroidissement par H2 seulement.
 
Ensuite, au centre du halo, le phénomène d'accrétion sur un cœur dense (un millième de masse solaire) doit prendre la relève, très probablement via la formation d’un disque (du fait de la conservation du moment cinétique).
 
 
A cause de la température relativement élevée au sein des nuages pré-stellaires (le refroidissement par H2 ne permet pas de descendre sous ~200 K), ces premières étoiles (appelée population III) semblent devoir être beaucoup plus massives que le soleil : de 100 à 1000 fois plus et ont une durée de vie en conséquence très faible : quelques millions d'années, c'est la raison pour laquelle on n'en trouve plus dans le ciel.
Cette vue de la population III est quand même controversée par certains scientifiques.
 
Ces premières étoiles étaient pauvres en métallicité (elles ne contenaient que H et He) mais leur explosion a permis d’enrichir le milieu intergalactique en ce que les astronomes appellent métaux (les éléments lourds).
C’est à partir de ce milieu là que naissent ensuite des étoiles de plus en plus semblables à ce que l’on connaît dans les galaxies aujourd’hui.
 
 
 
Ensuite : FRAGMENTATION
 
La présence de métaux augmente l’efficacité de refroidissement.
Par ailleurs, ce refroidissement est d’autant plus efficace que les métaux sont assemblés en agrégats: les poussières interstellaires.
 
On notera que l’efficacité de refroidissement est plus grande dans les zones plus denses.
Ainsi, il arrive que le refroidissement soit plus efficace à des échelles plus petites que la taille du gros nuage pré-stellaire : dans ce cas, le milieu se fragmente en petits morceaux qui ensuite s’effondrent en étoiles de masses plus faibles.
 
C’est tout cela que traduit ce graphique.
 
A gauche de la courbe jaune, la métallicité (lue sur l’axe horizontal en fraction de métallicité solaire) est trop faible pour obtenir la fragmentation : on obtient des étoiles massives.
 
A droite, c’est la situation inverse.
 
Enfin, l’axe vertical indique si les métaux sont entièrement sous forme dispersée (en bas) ou bien entièrement sous forme de poussière (en haut).
 
La ligne jaune indique donc l’existence d’une métallicité et d’une quantité de poussière critiques pour obtenir la fragmentation du gaz, c'est-à-dire pour donner naissance à des étoiles de masse faible.
 
 
 
 
Le problème tout de même subsiste pour les étoiles vraiment primordiales : en principe, la quantité de métaux dans le milieu où elles prennent naissance est nulle !
Sans doute d’autres effets physiques ont pu avoir leur importance et conduire à des étoiles de population III de masses raisonnables…
 
 
 
 
 
Mathieu Langer nous parle ensuite de ses premières amours : le magnétisme des étoiles de la population III.
 
Ce champ est de l'ordre de 10-12 Gauss, c'est à dire ridiculement faible (le champ galactique est de l'ordre du micro-Gauss).
 
Il peut y avoir de l'influence de ce champ magnétique sur l'accrétion.
 
 
 
 
 
 
Mathieu nous présente ensuite une simulation (par P Hennebelle, Fromang et Teyssier) sur l'influence du champ magnétique sur l'accrétion.
 
Différence entre les deux modes :
 
Ces simulations montrent le phénomène d’effondrement gravitationnel dans le cadre du milieu interstellaire (donc déjà bien enrichi en éléments lourds).
 
À gauche simulation en modèle hydrodynamique seul, à droite en ajoutant le champ magnétique.
 
Les simulations montrent clairement qu’après un certain temps, en présence de champ magnétique, il y diversion partielle du flux de matière. Ainsi, toute la matière disponible ne s’effondre pas pour former l’étoile centrale. En conséquence de quoi, la masse de l’étoile centrale peut être plus faible qu’en l’absence de champ magnétique.
  En extrapolant, il est fort possible que des processus semblables aient été à l’œuvre au moment de la formation des premières étoiles. Cela repose bien entendu sur l’existence à cette époque de champs magnétiques dynamiquement importants. Or, la génération de champs magnétiques, et leur amplification, est quelque chose de concomitant à l’effondrement des premières structures, mais ça, c’est un peu une autre histoire.
 
 
 
 
 
 
CONCLUSION.
 
Les enjeux de la population III d'étoiles.
 
 
On le devine déjà désormais, ce sont les propriétés des premières étoiles qui déterminent en grande partie l’évolution ultérieure des structures dans l’univers.
 
Connaître leurs propriétés, c’est donc compléter le tableau initial à partir duquel se forment les galaxies, groupes et les amas de galaxies de notre environnement local.
 
 
Enfin, l’histoire de la sortie des âges sombres, c’est-à-dire la ré ionisation, est également fortement liée aux caractéristiques de cette population III.
 
 
 
 
 
 
 
Ainsi donc, a contrario, si l’on a accès par les observations aux détails de la ré ionisation (par l’intermédiaire d’interféromètres radio comme LOFAR), on pourra remonter au moins partiellement aux conditions physiques qui étaient propres aux premières étoiles
 
 
Voici les principaux projets en radio astronomie consacrés à ce sujet :
 
 
 
 
 
 
 
Merci Mathieu pour cet exposé très dense et très complet.
 
 
 
 
 
POUR ALLER PLUS LOIN
 
 
À consulter en premier : the first stars in the Universe article de 8 pages en pdf de Scientific American, clair et concis (anglais).
 
Et aussi : l'age sombre de l'Univers de Scientific American, traduction en français; très bon
 
Que veut dire "Dark Ages" , réponse simple par la NASA en anglais.
 
"The Dark Ages" par J Miralda-Escudé de Science Mag article pdf de 6 pages.
 
 
Sur ce site plusieurs articles liés à ce sujet :
La ré-ionisation
Sur le fond cosmique Infra Rouge.
Conférence de Ruth Durer à l'IAP sur le CMB à consulter absolument avant de se lancer dans ce CR
 
 
 
 
Le champ magnétique en cosmologie par Mathieu Langer (Institut d’astrophysique spatiale) séminaire de 2006.
 
Radio astronomy and dark age une presentation PPT de 150kB
 
Une autre sur ces projets de radioastronomie : SKA et LOPFAR en PPT.
 
The Evolution of the Universe edited by David L. Alles Western Washington University 35 pages pdf, très bon résumé (anglais).
 
Aussi, très bon PPT 8MB de Harvard sur les ages sombres (anglais).
 
Sur les simulations (anglais) "cosmology on a super computer" par V. Springel 2006 54 pages de présentation pdf
 
Les grandes structures par le génial Alain Bouquet 2,5MB PPT
 
La formation hiérarchique des galaxie à l'IAP.
 
Du Max Planck Institute for Astrophysics : the first stars   37 pages 1,5MB pdf  (anglais)
 
Population III and IMF (Initial Mass Function) PPT en anglais.
 
The formation of extremely metal-poor stars presentation pdf de 14 pages.
 
Les premières étoiles et le passage à la population II (anglais) présentation pdf de 36 pages.
 
Formation of Pop III and II stars présentation PPT de 1,1MB.
 
Reionization of the Large Scale Structure très clair par l'Université de Leiden (Pays Bas) (anglais)
 
 
Simulation/Animation :
 
Les premières étoiles s'allument une animation Quicktime de 6MB de la NASA
Le film commence avec le BB , puis la période sombre où le gaz commence à s'accrêter. Les premières étoiles 'allument enfin quelques centaines de millions d'années après le BB; leurs morts ensemencent l'Univers en éléments lourds et de nouvelles étoiles plus riches naissent.
 
 
 
 
Bon ciel à tous
 
 
Jean Pierre Martin  SAF Commission de Cosmologie
www.planetastronomy.com