Mise à jour le 14 Décembre 2009
 
CONFÉRENCE INTERNATIONALE EN HOMMAGE À
L’ASTRONOME OUZBEK MIRZO ULUGH BEG
Organisée à l'IAP  98 bis Av Arago, Paris 14ème  par
 
Le 26 Novembre 2009 à 14H00
 
Étant absent pour cause de problèmes de santé dans la famille, c'est notre ami Bernard Lelard de la commission de cosmologie et Président de VEGA, qui effectue ce superbe reportage, les photos sont aussi de lui sauf indication contraire.
 
 
Cette rencontre est organisée par l’Ambassade de la République d’Ouzbékistan en France, la délégation permanente de la République d’Ouzbékistan auprès de l’UNESCO, la Société astronomique de France, et l’Institut d’Astrophysique de Paris le 26 novembre 2009 à l’Institut d’astrophysique de Paris avec pour invité d’honneur : Buzz Aldrin, astronaute américain.
 
 
Les intervenants
Photo © Ambassade d'Ouzbékistan.
 
 
Nous sommes bien accueillis dans l’amphithéâtre Mineur, si familier aux membres de la SAF lors des conférences mensuelles de l’IAP. Laurent VIGROUX, directeur de l’IAP souhaite la bienvenue aux astronomes chercheurs ouzbeks et français ainsi qu’à une nombreuse assistance, suivi par Philippe Morel, président de la SAF.
S.E. Mme Lola Karimova-Tillyaeva, déléguée permanente de la République d’Ouzbékistan auprès de l’UNESCO situe ensuite l’œuvre d’Ulug Beg dans la culture ouzbek.
Mme Yolanda Berenguer, représentant l’UNESCO et coordinatrice des questions d’éducation  de l’Année Mondiale de l’Astronomie souligne que cet événement est aussi une manifestation IYA 2009.
 
 
Buzz Aldrin, venu spécialement des États Unis pour l’occasion,  en rappelant l’exploit de la conquête de la Lune il y a juste 40 ans parle de son éducation, de son goût pour l’astronomie et de son désir d’être parmi nous pour cette commémoration.
 
Sa présence est impressionnante et chaque participant en le regardant  se remémore ses photos de premiers pas sur la Lune.
 
 
Il me dira plus tard que, bras tendu il masquait la Terre avec son pouce.
 
 
 
 
Suivent les exposés des spécialistes invités.
Pour la compréhension nous évoquerons d’abord l’intervention du professeur Lucien Kehren, spécialiste des dynasties Timourides (les Timourides étaient les possessions de l’empire de Tamerlan (Timur) (pays actuels Iran et l’Asie Centrale)) , sur la vie d’Ulug Beg (de son vrai nom Taragay).
Celui ci naquit en 1394, fils aîné de Shah Rukh il était le petit fils de Tamerlan.
A quinze ans son père le nomme gouverneur de Samarcande et vice roi.
Se détournant des problèmes politiques et administratifs Ulug Beg va se consacrer à l’étude des mathématiques (notamment la trigonométrie) et de l’astronomie.
Sous son impulsion Samarcande va devenir un foyer culturel considérable au XV ième siècle et sa renommée ira jusqu’à l’ouest de l’occident comme le dira un intervenant.
Ulug Beg fondera une madrasa qui deviendra une école de mathématiques et d’astronomie à l’origine de l’actuelle Université d’État de Samarcande.
 
 
Ulug Beg fit également construire un gigantesque observatoire astronomique abritant un sextant de plus de 40 mètres de rayon partiellement enfoncé dans le sol dont subsistent encore quelques vestiges photographiés par des membres de la SAF de passage à Samarcande vers l’éclipse de 2008 en Chine (voir le beau numéro 9 d’Astronomie).
 
 
L’œuvre  principale d’Ulug Beg est rassemblée dans le »zij-e solTâni », table de localisation de 1014 étoiles d’une remarquable précision. A la mort de son père Ulug Beg devint roi des Timourides mais entre en conflit avec son fils aîné, Abd ul-Latif qui le fit assassiné en 1449.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
L’exposé de Mme Françoise Le Guet Tully, astronome et historienne, de l’Observatoire de Nice : « Ulughbeg en occident, de la science à l’histoire des sciences ». Il s’agit de retracer les contextes dans lesquels les orientalistes, astronomes, géographes, historiens traduisent et évoquent en Europe Ulugh Beg selon la géographie de l’Asie Centrale, le catalogue des étoiles fixes, l’observatoire de Samarcande et ses instruments.
La « Science Arabe » est évoquée comme discipline dès le 18 ième siècle par Condorcet (1743-1794) pour les implications en philosophie, par Montucla (1725-1799) pour l’histoire des mathématiques et par Delambre, Sédillot, Caussin de Perceval pour l’astronomie.
 
S’agissant d’Ulugh Beg les recherches portent surtout sur le « zij » de 1437 avec ses tables géographiques, ses chroniques et almanachs, sa table des étoiles fixes, ses tables décrivant les mouvements de la Lune, du Soleil et de ses planètes. 
Une première traduction eut lieu à Oxford en 1648 par John Greaves, astronome anglais orientaliste, et en 1917 la dernière traduction fut réalisée à Washington par Edward Ball Knobel astronome.
 
La grande renommée d’Ulugh Beg vient de sa table astronomique.
Les catalogues d’étoiles de l’Orient islamique (« zij ») avaient pour origine les tables de Ptolémée (90-168) qui les tenait lui même d’Hipparcos utilisant une vielle tradition mésopotamiennes des archives en table.
L’histoire des zij se résume à :
·        9 ième siècle al-Khwarizmi (l’inventeur de l’algèbre) zij dérivé de celui de Ptolémée et de l’astronomie indienne
·        10 ième siècle al-Battani 75 étoiles observées et enrichissement du zij Ptolémée
·        10 siècle al-Sufi (le découvreur du » petit nuage » (Andromède M31)) le premier qui signala que Ptolémée n’avait pas observé lui même
·        1030 zij d’al-Biruni,   1247 zij d’al-Tusi,   et enfin
·        1437 zij d’Ulugh Beg 1017 étoiles observées à Samarcande
 
 
Le fameux zij de Ptolémée (147) est tiré de l’Almageste qui est une compilation du savoir astronomique et mathématique au 2 ième siècle. Almageste est une arabisation du grec « megistos » (le très grand), al-mijisti.
Cette compilation écrite en grec fut traduite à Bagdad par Thâbit ben Q’ra (826-901), elle comprenait dans la partie VII et VIII de la « Composition Mathématique » :
1022 étoiles observées en coordonnées elliptiques pour l’année 137, classées en 6 magnitudes, présentées en 48 constellations (21 au nord de l’écliptique, 12 dans l’écliptique, 15 au sud).
 
John Greaves (1602-1652) s’intéresse à l’astronomie avec Bainbridge (observation d’éclipse) et suit des cours d’arabe avec Golius à Leyde et effectue en 1633 un premier voyage en Orient pour collecter des manuscrits. Il retourne avec Pocoke à Constantinople et acquiert une copie du Zij d’Ulugh Beg. « In my inquiry after Arabic and Turkish books I have been a little more fortunate, than those of Greek (…). Those are Abulfeda his Geographic in Arabic, and Ulug Beg his canons and Astronomical tables in Persian ».  Greaves, de retour à Oxford, sera le premier à publier Ulugh Beg en Occident en 1648 dans un traité, Canicularia un texte sur le lever héliaque de Sirius en Egypte annonciateur des crues du Nil. Dans ce texte Greaves cite ibn-Shatir, al-Sufi, Ali Qushji, al-Tusi , Ulugh Beg avec son observatoire de Samarkand et une sélection de 98 étoiles en promettant de publier intégralement le zij.
 
Au cours des 17 et 18 ième siècles Ulug Beg sera une référence pour les astronomes et le recours à ses tables sera constant dans ces périodes.
Ainsi Cassini aura recours à elles  en 1693 dans ces comparaisons sur le dérèglement des saisons. Mazarin (1602-1661) et Colbert (1619-1683) organiseront des expéditions en Orient (avec notamment Louvois) pour acheter des manuscrits arabes et orientaux.
Ulug Beg sera le dernier acteur majeur pour les sciences dans le monde islamique, une figure emblématique dans l’observation astronomique et un repère fondamental dans la périodisation de l’histoire des sciences universelle.
 
 
 
 
 
Vint ensuite M.Shukhrat Eghamberdiev, directeur de l’Institut d’astronomie de l’Académie des sciences de la République d’Ouzbékistan, dont l’exposé « l’étude de l’héritage d’Ulughbeg » va passionner l’assistance.
 
Il commence par le commentaire de l’astronome français Joseph-Nicolas Delisle (1688-1768) sur « un manuscrit persan des tables astronomiques d’Ulugh beg ». Grâce à un quadrant méridien de l’observatoire de Samarkand, arc gigantesque de 40,2 mètres de rayon, Ulugh Beg calcule l’inclinaison de l’écliptique sur l’équateur céleste :
Hipparcos  130 BC   e = 23°51’20 ‘’ err+8’23’’
Ac-Sufi      965 AD  e = 23°33’45’’  err+0’50’’
At-Tusi    1270 AD  e = 23°30’         err+2’09’’
Ulughbeg 1437 AD  e = 23°30’17’’  err+0’30’’
 
Ulugh Beg s’appliqua à calculer sin (1°) car sa valeur permet l’établissement de tables trigonométriques.
Les principaux sinus (90°, 60°, 45°, 30°) étaient calculés par des constructions géométriques. Par la bissection d’un angle on pouvait calculer sin3°, sin (1,5°), sin(0,75°).
Ptolémée avait calculé sin (1°) par interpolation entre sin(1,5°) et sin(0,75°), mais pour construire géométriquement à la euclidienne (règle non graduée et au compas) sin(1°) il fallait utiliser la trisection d’un angle, chose démontrée impossible (1837, Pierre Laurent Wantzel).
Ulugh Beg résolut ce problème (l’un des 3 de l’Antiquité) par une solution algébrique de l’équation :
ax = b sin(3°) + x3  où x = sin(1°), par une méthode itérative il trouva :
sin(1°) = 0,017 452 406 437 283 571 avec une erreur inférieure à 10-17.
 
Son Zij de 1018 étoiles avait une précision inégalée depuis la table d’Hipparcos reprise par Ptolémée.
Cela était dû à la construction de son quadrant méridien de 40 mètres de rayon destiné au passage des astres au méridien.
 
 
Sur son échelle graduée (2 rigoles en marbre), 1 degré occupait 70 cm et une minute d’arc était représentée par 12 millimètres, ce qui conférait une précision de quelques secondes d’arc
 
 
 
Tous les 70 cm un caractère particulier indiquait le degré correspondant au rayon de lumière projeté sur les murets en marbre.
 
 
Avec l’exposé de M.Shukrat Eghamberdiev Ulugh Beg, le prince des étoiles devint le prince astronome, grand bâtisseur du grand observatoire de l’Asie Centrale
 
 
 
A la pause l’incontournable interview de l’astronaute Buzz Aldrin par l’agence de télévision Jahon d’Ouzbékistan nous permit d’admirer les pins ornant toujours sa cravate et ses revers :
 
·        A sa droite l’empreinte en argent de son « moon boot » sur la poussière lunaire,
·        à gauche le très rare « astronaut gold pin » en or (étoile et fusées) remis aux astronautes à leur retour de mission devant tous les participants de la mission. 
·        Sur la cravate la Lune en argent
·        et l’avion « F86 Sabre » des pilotes de chasse de la guerre de Corée, corps dont il fut membre actif en abattant 2 MIG en 1953.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Madame Suzanne Debarbat du SYRTE de l’Observatoire de Paris présenta ensuite une belle et très suivie symphonie d’instruments astronomiques anciens en insistant sur les quadrants et sextants géants.
 
 
 
 
Le laboratoire SYRTE est bien connu des membres de la SAF assidus aux conférences d’histoire des sciences organisées par Jean Eisenstaedt à la salle de l’Atelier ainsi qu’aux conférences à la SAF sur la détermination de l’heure et des variations de la rotation de la Terre par Jean Souchay.
 
 
 
 
 
 
Suivait ensuite un exposé savant et très documenté par M. AKHMENDOV Ashraf Ahmedovitch, professeur et chercheur principal à l’Institut de l’histoire de l’Académie des Sciences d’Ouzbékistan.
Il va ainsi nous décrire l’élaboration de l’œuvre  magistrale d’Ulugh Beg qu’il traduisit : le Zij du Sultan en 108 listes, dépassant l’œuvre d’Ivklid de Nasriddin Tusy.
 
Les zij musulmans de l’époque médiévale et les traités astronomiques comprenant des tables de positions d’étoiles ont deux philosophies différentes.
 
 
 
Il y a les astronomes qui observent eux mêmes et font part de leurs découvertes, tel Ulugh Beg et les astronomes de papier qui transmettent sans observer les tables établies par de lointains prédécesseurs comme Ptolémée qui les tenaient lui même d’Hipparcos y rajoutant parfois quelques commentaires.
 
Certains Zij étaient célèbres et abondamment utilisés comme le « canon de Masud » de Biruni, le « Zidj Ilhami » de Nassiraddin Tusi et le zij de Ilhami de Djamshed Karshi. Sufi, dans son catalogue « le tableau des étoiles fixes », liste ses observations à la cour du roi des Boudes Adud ad-dauly Fana Hisrau. Tusi avait lui même observé 1017 étoiles (et découvert 4 nébuleuses à l’œil nu). Bien que ce fut le meilleur des catalogues du moment, l’époque du règne des Mongols en Perse, il devint nécessaire de dresser un nouveau catalogue avec des mesures bien plus précises : c’est la raison essentielle de la construction de l’observatoire géant d’Ulugh Beg et la création d’une école d’astronomie à Samarcande.
 
Par ailleurs la détermination de la période de révolution de planète telle que Saturne (29,5 de nos ans) nécessitait des temps d’observation très longs (au moins 30 ans). Il fallait donc des périodes de stabilité politiques, des astronomes toujours en poste pendant au moins 30 ans et des moyens hors du commun que seuls les monarques stables pouvaient assurer. Ce fut le cas d’Ulugh Beg qui adopta le cycle de 30 ans d’observation et affecta les crédits nécessaires à l’observatoire de Samarkand.
 
Le Zij comprend une introduction où il met en avant l’astronomie comme science en citant le Coran, suivi de 4 livres (makala). Dans le 1 ièr chapitre du 1 ièr livre Ulugh Beg définit le début du calcul du calendrier de l’Hégire en prenant pour premier jour le jeudi 15 juillet 622 et non le vendredi, ce qui donnera lieu à des corrections ultérieures. Le 2ième chapitre définit le départ de l’ »ère des romains », commencée le 1 ier octobre 312 avant notre ère qui est le jour du couronnement d’Alexandre le Grand. Suit d’autres définitions de début de calendrier (règne de Yezdigerd III, l’ère maliki, djelali du sultan Djelal ad-Din Malikchakh ibn Alp Arslan (1072-1092)). Ce calendrier était utilisé dans les pays des Seldjoukides, des Khorezmchakh et des Timourides, pays de l’empire de Tamerlan, c’est à dire d’Ulugh Beg. C’est dire la complexité du déchiffrage des zij de cette époque.
 
 
 
Lorsqu’Ulugh Beg parle du calendrier en vigueur en Chine, de son cycle animal, et au Turkestan oriental, pays des anciens ouïgours il parle bien des ouïgours et non des centraasiatiques. Ces calendriers, dont certains étaient empruntés à l’astronome Kachi qui le tenait lui même de l’astronome Tusi, étaient détaillés avec les fêtes coutumières. Le 2 ième livre parlait de trigonométrie sphérique si utile dans le monde musulman pour calculer l’apparition du premier croissant de Lune départ du Ramadan. Le livre suivant, le 3 ième, détaille le mouvement des planètes et, dans le 13 ième chapitre il décline son catalogue des 1014 étoiles observées. Les commentateurs du Zij sont frappés par son haut niveau mathématique.
Le conférencier parle ensuite de la propagation de la notoriété d’Ulugh Beg et de son Zij jusqu’à l’époque soviétique. Le livre le plus significatif est celui de T.Kary-Niazov, prix Staline, traduit en langue ouzbek. M.Akhmedov a publié la traduction complète du Zij en 1994 à l’occasion du 600 ème anniversaire.
 
À la fin de son exposé M.Akhmendov remet à Philippe Morel, président de la SAF, ce fameux livre.
 
 
 
 
 
Nous terminons cette passionnante conférence par l’intervention de M.Temir Shirinov, président de l’Université d’État de Samarkand. L’université qu’il préside est directement héritière de la médersa fondée par Ulugh Beg en 1420
Des 3 médersas sur la photo de la place du Registan, celle d’Ulugh Beg est celle de gauche. Enseignant à l’origine les mathématiques, l’astronomie, l’Islam, la poésie et la littérature  la médersa de 1420 est devenue aujourd’hui une université moderne d’État ouverte sur le monde et les nouvelles technologies.
 
 
 
 
Après une séance de questions réponses qui n’en finissait pas tant l’intérêt fut vif, S.E.M.Bakhromjon Aloev, Ambassadeur d’Ouzbékistan en France clôtura la conférence avec Philippe Morel en rappelant l’apport de sa région à la science universelle (al-Kwarzimi, inventeur de l’algèbre était ouzbek), souligna l’attrait touristique de l’Ouzbékistan de Bukkara à Taschkent  et nous invita à une soirée à l’Ambassade où chacun put parler avec les intervenants … et avec Buzz Aldrin.
 
 
l’Ambassadeur et le Président de la SAF
la commission de cosmologie de la SAF avec Buzz Aldrin
 
 
Et en conclusion, pour les lecteurs de ma chronique AstroMath, voici un superbe bloc de timbres ouzbeks 2009 évoquant Ulugh Beg et son sextant géant avec une oblitération spéciale Ulugh Beg 
 
   
 
 
Bon ciel à tous !
 
Bernard Lelard
www.planetastronomy.com
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