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- Mise à jour le 28 Janvier 2013
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- CONFÉRENCE
- CYCLE "LE CIEL
ENTRE SCIENCE ET
RELIGIONS"
«L’ÉGLISE ROMAINE ET LES DÉVELOPPEMENTS
DE LA SCIENCE CONTEMPORAINE»
- Par Philippe
PORTIER
Dr à l'EPHE et Dr du GSRL (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités)
- Organisée par l’IESR
et l'IAP
- 98
bis Bd Arago, Paris 14ème
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- Le mardi 15 Janvier
2013 à 19H30
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- Photos : JPM. pour l'ambiance (les photos avec
plus de résolution peuvent m'être
demandées directement)
- Les photos des slides sont de la présentation
de l'auteur. Voir les crédits
des autres photos
Vidéo de la conférence par le CERIMES
disponible sur leur site quelques jours après (le CERIMES propose aussi
toutes les vidéos des conférences IAP) :
voir : http://www.cerimes.fr/le-catalogue/institut-dastrophysique-de-paris-iap.html
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- BREF COMPTE RENDU
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- Le froid sévissant dans la région parisienne
ce jour là (mon démarreur a rendu l’âme) je n’ai pas pu assister à
cette première conférence d’un nouveau cycle organisé à l’IAP sous
l’égide de l’IESR : Institut
Européen en Sciences des Religions.
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- C’est notre ami et fidèle lecteur Christian
Larcher qui prend la plume à ma place, qu’il en soit remercié !
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- Cycle de conférences IERS/IAP 2013 Le ciel entre science et religions
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- IERS Institut européen en sciences des
religions
- EPHE Ecole pratique des hautes études
- IAP Institut d’astrophysique de Paris
- GSRL Groupe sociétés, religions, laïcités
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- Texte
de présentation : Le « ciel »
pris dans son sens le plus général, à la fois le plus matériel et le
plus symbolique, constitue par excellence un objet de connaissance et de
représentations à la croisée de la démarche scientifique, de la
philosophie et des religions. Ces conférences s’attacheront à faire
comprendre comment se sont mêlées, opposées ou juxtaposées ces différentes
approches dans l’histoire et comment l’état actuel des connaissances
transforme, déplace ou repose d’antiques questions métaphysiques et
religieuses. C’est donc l’histoire des religions, des sciences, l’épistémologie,
l’astronomie ou la théologie qui seront convoquées pour dire en quoi le
ciel peut-être circonscrit comme objet de savoir et de pouvoir et comment,
à cause de sa nature même et/ou de celle du cœur humain, il excède sans
cesse cette emprise intellectuelle et technique ».
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- La première prise de parole est celle de
Daniel Kunth (IAP, CNRS)
- La seconde est celle de Philippe Gaudin Agrégé
de philosophie ; Doctorat de l’EPHE (Sciences des religions et systèmes
de pensée)
- La conférence proprement dite est de Philippe
Portier ; Directeur du GSRL – unité mixte de recherche
EPHE-CNRS ; Directeur d’étude à l’EPHE. Le thème de la conférence :
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- « L’Église romaine et les développements
de la science contemporaine : langage de vérité et art du compromis
dans le catholicisme d’aujourd’hui »
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- INTERVENTION
DE DANIEL KUNTH
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- Je vais préciser le sens de notre démarche :
- Parmi les sciences, l’astrophysique a la
faveur du public pour des raisons évidentes, d’une part les média sont
le plus souvent à la recherche du spectaculaire et donc font une large
place à l’astrophysique et à la cosmologie en général, tout simplement
parce que les questions qu’elles posent
font à la fois appel au sens et à l’imagination. Dans ce contexte
là, la recherche fondamentale étant l’âme de la science, il est évident
qu’elle n’en reste pas moins méconnue, vulnérable, parce qu’elle
touche souvent à des questions fondamentales qu’on voudrait voir résolues
alors qu’elles ne sont que posées autrement en des termes exigeants.
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- On le perçoit doublement avec la question de
l’expansion de l’Univers qui ouvre le piège de l’antique question
d’origine et récemment encore, celui du principe anthropique qui fera
l’objet de la prochaine conférence ici même par Suzy Collin Zahn le 19 février.
- C’est dans ce contexte que s’inscrit notre
initiative d’une série de conférences sur le thème « Le ciel
entre sciences et religions ». Ces conférences n’ont pas pour but
de concilier les points de vue, celui d’une démarche scientifique et
celui qui relève d’une croyance religieuse, une construction symbolique
ou une interprétation finaliste de l’Univers.
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- Pas de concordat donc, s’il y a croisement il
ne peut-être que philosophique et c’est bien là le sens de notre démarche.
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- INTERVENTION
DE PHILIPPE GAUDIN
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- Nous sommes ravis de commencer ce cycle qui a
un caractère un peu expérimental. On a presque envie de dire en
introduction : au commencement était le hasard. Mais quand on dit cela
je pense que l'on dit toujours un peu plus que ce que l'on en sait. Que l'on
s'imagine que le hasard soit une absence totale de raison – mais comment
pourrait-on savoir qu'il n’y aucune raison derrière le hasard ? -
ou au contraire, dans l'esprit de Spinoza, penser que le hasard est
l'inintelligence de la nécessité, fut-elle probabiliste.
- Au commencement il y a eu une rencontre à
Poitiers en 2011, je crois. C'était
une rencontre CNRS-jeunes et citoyens,
avec l'idée que les jeunes européens aient le goût de la science
et de la recherche. Une table ronde avait été organisée autour de la
question de la théorie de l'évolution et moi je présentais un livre qui a
été dirigé notamment par Philippe Portier et dont le titre est :
« Théorie de l'évolution et religions ». Cela permettait de
faire travailler ensemble des sections qui n'ont pas toujours l'occasion de
travailler ensemble. A la fois des biologistes, des historiens, des
sociologues et des philosophes notamment sur les sciences religieuses. Vous
savez que l'IESR (c'est l'Institut dans lequel je travaille) a été créé
au sein de l'IEHE parce que cet institut avait une longue expérience de ce
que l'on appelle les sciences religieuses ou sciences de la religion. Cet
institut a été créé tout simplement pour diffuser la connaissance et
pour faire des formations sur ces questions.
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- Je participais à cette table ronde et, à
l'issue du débat, la particule « Kunth » » a rencontré
la particule « Gaudin » dans un « accélérateur de
particules » qui s'appelle les rencontres de Poitiers. Çà
n'a donné aucun boson de Higgs, mais çà a donné au moins une idée,
mais pas tout de suite. On partage un point commun avec l'IAP qui est à la
fois un lieu de recherche mais aussi un lieu de diffusion des connaissances
vers le public. La vocation de l'IESR est typiquement une vocation qui
consiste à se tourner vers le public et à faire de l'information.
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- Tu as dit, je crois, que tu représentais le
monde scientifique et Philippe Portier va peut-être en dire un mot
notamment avec l'affaire Galilée. Je crois que l'autonomie des sciences de
la nature par rapport aux autorités religieuses, est un acquis de la
civilisation. Je tiens beaucoup à cette idée là, Je dirai simplement
ceci, c'est que les sciences religieuses ou science des religions sont plus
récentes, utilisent des méthodes scientifiques ou rationnelles qui
sont différentes des sciences de la nature, mais il n'y a pas de
propos préconçus.
- De notre point de vue chaque conférence aura
son unité et son équilibre. Je crois qu'à partir de là, l'effet
philosophique se passera dans la tête de ceux qui écoutent.
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- Quelques mots pour présenter Philippe Portier.
- Il est Directeur d'étude à l'EPHE au département
« Histoire et sociologie des laïcités »
- Je pense que cela a une valeur symbolique pour
nous . C'est important que Philippe fasse la conférence inaugurale,
parce que les questions de laïcité sont au cœur des sociétés
d'aujourd'hui ; et il se
trouve aussi que Philippe Portier est un fin connaisseur du Magistère
catholique.
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- INTERVENTION
DE PHILIPPE PORTIER
- (prise de notes et rédaction par Christian
Larcher)
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- Le juriste allemand Carl Schmitt (1888-1985)
dans le texte « La visibilité de l’Église » rappelait que,
face à la modernité, l’Église Catholique Romaine avait défendu
« Une grande alternative sans médiation possible ». Par là il
voulait signifier l'opposition radicale de la civilisation catholique et de
la civilisation moderne.
- Avec la modernisme l'homme construit les
conditions de son propre séjour terrestre ce que l’Église n'a jamais
accepté ; l'Homme devient maître et possesseur du monde.
- Pour l’Église l'Homme occupe la place voulue
par Dieu. Elle voit le monde construit par la seule volonté divine, comme
un Cosmos ordonné et non pas comme un chaos. Dans ce monde créé par Dieu
chaque être a une place spécifique.
L'Homme doit donc se soumettre à la finalité voulue par Lui dans la
gestion de sa vie quotidienne.
- Pour Hoope et Locke le pouvoir ne vient pas de
Dieu, l'ordre socio-politique repose sur la seule volonté de l'Homme. Pour
l’Église Les droits de l'Homme et du citoyen sont contraires à l'ordre
voulu par Dieu.
- Le combat contre la science se cristallise sur
les conceptions de Copernic, Galilée et Darwin qui révolutionnent l'image
que l'Homme avait du Cosmos.
- L'opposition de l’Église se construit
particulièrement sur les réflexions de Galilée et de Darwin.
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- I
- Combat contre Galilée
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- Le combat contre Galilée dure plus de 3 siècles
avec 3 grandes périodes : la condamnation, l'acceptation et la réhabilitation.
-
- 1
– La condamnation
- Elle repose surtout sur trois points :
- ·
Une raison de forme : les écrits de Galilée sont en italien et
donc lisibles par tous.
- ·
Une raison de conjoncture : l'Église durcit ses positions avec
la lutte contre la réforme.
- ·
Une raison de fond : Galilée, à la suite d’Épicure et Démocrite,
a une pensée « atomiste » ce qui vient détruire la pensée du
Moyen Âge.
-
- 2 – L'acceptation
- Au milieu du XVIII° siècle le pape Benoît
XIV admet que l'on puisse avoir une vision symbolique de la Bible et non pas
simplement littérale.
- La vision de Galilée est acceptée à
condition de n'être qu'une simple hypothèse.
- En 1822 on peut imprimer les livres qui considèrent
que la Terre est en mouvement. En 1846 les textes de Copernic et de Galilée
ne sont plus à l'Index.
-
- 3
- La réhabilitation
- Il faudra attendre l'Encyclique « Gaudium
et Spes » (1965) de Vatican II pour que l'on voit l’Église
regretter sa position vis à vis de Galilée. Le Pape JP II demande en 1979
que l'on mène une enquête sur Galilée ; la réhabilitation ne
viendra qu'en 1992.
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-
- II
– La révolution darwinienne
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- Dans ses écrits,
Darwin remet en cause trois aspects importants de la doctrine
catholique :
- l'idée de création, l'idée de finalité et
l'idée de péché originel.
- On peut décomposer en deux grand moments les
efforts déployés par l’Église catholique pour contrer cette déconstruction.
La première période va jusqu'en 1940 : la résistance de l’Église
est ouverte contre la théorie de l'évolution, d'autant qu'elle est aussi
un des fondements de l'ordre communiste. La deuxième période va de 1940 à
nos jours ; L' Église trouve un accommodement relatif sous
certaines conditions :
- ·
les savants ne sont pas des clercs
- ·
pas de création immanente de l'Univers
- ·
respect de la présence de la « main de Dieu »
-
- II
–1 - Première période : stratégie d'opposition ouverte (1860-1940)
-
- Cette période correspond au développement
du positivisme : « La science peut résoudre
l’ensemble des problèmes ». Parallèlement il y a rétraction de
l’Église (Syllabus de 1864)
- La Pape Pie IX déclare qu’il ne pourra
jamais se réconcilier « ni avec le progrès, ni avec la liberté, ni
avec le monde moderne ».
-
- La résistance de l’Église sera de
deux ordres : l'ordre doctrinal avec
primauté de la Bible, dans sa littéralité, sur la vérité scientifique ;
l'ordre gouvernemental avec mise en place d’un dispositif de
protection de la vérité catholique.
-
- a)
Résistance d'ordre doctrinal
- Le
discours de l’Église tout au long de la fin du 19è siècle et du début
du 20è a reposé sur une idée
claire : Rome ne cesse d'affirmer que De Darwinisme est tout entier
saturé d’aberrations.
- Le Pape
Léon XIII (1878-1903) déclare : « Il est insensé de croire que
des êtres humains puissent avoir pour père ou
pour mère un singe ou une guenon ».
- L’Église oppose à cette théorie deux
grands types de discours, un discours institutionnel et un discours évaluatif.
- Le discours institutionnel affiche la primauté
de la foi sur la raison, la primauté de l’Église sur la science, les
conditions du vrai travail
scientifique par opposition aux fausses sciences.
- Le discours évaluatif est de condamnation ;
l’église montre l'écart qui sépare la théorie Darwinienne de la juste
conception des choses.
-
- Le récit scientifique doit être conforme avec
le récit du Magistère.
Les arguments reposent sur deux principes valables dans tous les
domaines :
-
- ·
le principe de l’inérrance du récit biblique. Les fidèles ne
doivent pas lire la Bible loin du contrôle du Magistère car ce n’est pas
un document seulement humain. La Bible ne peut se donner au premier venu,
elle a besoin d’être interprétée. Pourtant St Augustin dés le 4° siècle
indiquait que l’Écriture n’a pas un sens unique mais quatre dont un
sens symbolique.
- ·
le refus de
l’autonomie du discours scientifique. Il faut distinguer la « vraie
science » de la « fausse science ». « La science qui
contredirait la doctrine de la foi est une science fausse » La science
doit être « l’humble servante de la foi » (Léon XIII).
-
- ·
L’Église organise des Congrès fréquentés par des milliers de
personnes.
- ·
Rappelons qu'il y a trois éléments de la Bible qui sont « d’origine
divine » :
- ·
toute chose a été créée par Dieu au début des temps
- ·
l’Homme a connu une construction spéciale dans le cosmos
- ·
le péché originel s’est transmis de génération en génération
à partir de la faute de nos premiers parents
-
- ·
Les thèses de l’Église reposent sur
deux principes clés :
- ·
le principe de immutabilité de l’Univers
- ·
le principe d’exceptionnalité de l’humain : l’Homme
n’est pas le produit d’une série de mutation historiques, l’Homme est
le même depuis le début du temps.
-
- b)
Résistance gouvernementale
-
- Des condamnations pour sanctionner la
dissidence
-
- Premier exemple : le Père Dominicain
Dalmas Leroy.
- Dans un livre qu'il a publié en 1880 dont le
titre était « L’évolution des espèces organiques », il écrit :
- ·
la doctrine de Darwin satisfait en tous points l’intelligence
- ·
le Darwinisme ne remet pas en cause l’action du créateur
- ·
le Magistère ne peut pas avoir un monopole de l’interprétation
des livres saints.
- Delmas Leroy est convoqué à Rome et interdit
de publication.
-
- Deuxième exemple : Pierre Teilhard de
Chardin (TdC)
- Au tout début des années 1920, alors que
l’arrivée au pouvoir pontifical de Pie X est un moment de grande
ouverture, TdC produit, en 1922, un petit texte, intitulé « notes sur
quelques représentations possibles du péché originel ». Il l'avait
laissé sur son bureau ; ce texte est subtilisé et envoyé à Rome.
- Dans ce texte, non publié, il reprend lui
aussi le darwinisme. Il y a 3 éléments qui peuvent poser problème pour la
vision que le Magistère de cette époque développe pour l’univers.
-
- ·
le statut de l’humain
- Dans ce petit texte TdC remet en cause la création
spécifique de l’Homme. Il dit que l’histoire a placé l’espèce
humaine sur un pédoncule par lequel elle se rattache au tronc commun du
vivant. On voit donc bien que l’Homme n’est pas dans la situation d’exceptionnalité
que j’indiquais tout à l’heure ; il est dans la ligne des espèces
animales dont il vient, en quelque sorte, couronner le règne.
-
- ·
le statut du péché.
- S’il n’y a ni Adam ni Ève, alors la
« chute », le
« péché originel », ce péché qui justifie la présence de
l’Église dans le monde, puisque c’est par le truchement de l’Église
que nous pouvons obtenir le salut, est remise en cause.
- L'enchaînement logique est : Création à
Péché à
Salut (par le truchement de
l’Église)
- Or le péché, cette « chute »,
nous dit TdC, en tant qu’événement
- il l'écrit dans son texte- est inexpérimentable, invérifiable
scientifiquement. Et voici que ce qui venait fonder en certitude le discours
de l’Église, sa conception même du salut, se trouve remis en cause par
ce père jésuite. Ni Adam ni Ève ? mais alors où peut-être l’émergence
du péché ? C’est probablement que le péché est de l’ordre de la
fable.
-
- ·
le statut de l’histoire
- Dans ce petit texte d’une quarantaine de
pages, TdC évoque comme Darwin, l’évolution
linéaire du temps. Et il nous dit que l’on est passé de formes
rudimentaires à des formes beaucoup plus complexes de la vie. Le temps est
un flux dit-il, un processus de croissance continue, où à la fin du monde
s’accomplira l’union mystique du monde et de l’Homme dans l’esprit
du Christ. C’est un point qui pose également problème à l’Église de
ce temps parce qu’il renvoie à une forme de panthéisme où l’Homme se
développe dans ce monde même, suivant une ligne de progressivité. La
vision de l’Église à ce moment là est, au contraire, une vision toute
différente : l’Église
estime que ce n’est pas dans ce monde que l’Homme doit trouver son salut
mais dans l’autre monde, celui dont l’Église, par son activité de médiation,
doit nous ouvrir les portes.
- Ce texte se retrouve donc sur le bureau du
« Saint Office ». ; quelques mois plus tard la sanction
tombe : TdC est interdit d’enseignement. Tout au long de sa vie il
traînera évidemment cette crainte et cette haine dont parlait Pascal
venant du Magistère romain : « Les Papes nous haïssent et
craignent les savants qui ne leur sont pas entièrement dévoués ».
- En ce sens précisément la doctrine
theilhardienne vient remettre en cause les principes mêmes de
l’orthodoxie chrétienne ou catholique du temps.
-
- Consolider les orthodoxies
-
- Le catholicisme de cette époque là n’est
pas uniquement un catholicisme frileux, c’est un catholicisme qui, dans
tous les domaines de l’activité sociale, va au monde, mobilise ses
troupes, entend pénétrer la société. Il est un mot de Léon XIII dans
l’encyclique « Immortali Dei » qui est très net sur cette
question ; il s’adresse aux chrétiens, aux hommes politiques, aux
hommes de science, aux laïcs de base et leur dit : « Allez, pénétrez
partout où s’ouvre un accès afin d’y infuser, tel un sang réparateur,
la sève de la doctrine chrétienne… »
- Ce message va être suivi dans toutes les sphères
sociales et c’est l’époque où se développent les partis catholiques,
les patronages et les écoles catholiques, c’est l’époque où se développe
l’idéal d’une science catholique qui se réunirait autour de congrès
venant développer, contre la science positiviste, l’orthodoxie
scientifique de l’Église.
-
- Les choses s’opèrent en deux temps. Il y a
d’abord une création française qui est la création de congrès
scientifiques catholiques portés, à la fin du XIX siècle, par Mgr d’Hulst.
De 1887 à 1905 il y a 5 congrès à l’échelle de l’Europe tout entière,
regroupant 2000 à 3000 scientifiques venus du monde entier. Et là on
demande à ces scientifiques comme le dit le pape Léon XIII « Une
soumission absolue envers le siège apostolique de Saint Pierre ».
Ces scientifiques se réunissent précisément pour développer la
pensée créationniste, anti-évolutionniste développée par les textes du
Pape.
- Mais parmi tous ces scientifiques il y a des
esprits forts qui remettent en question la chronologie biblique en disant
que le monde a sûrement plus de 6 000 ans. Et on va voir, au sein même de
la catholicité, rappeler que la science, à l’extérieur de l’Église,
existe et commence à poser des principes qui ne sont pas nécessairement
les principes développés par le Magistère romain.
Un participant dit : mais, ce texte biblique, est-on sûr
qu’il a été conçu d’une seule pièce ? Que le Pentateute (5
livres) par exemple soit l’œuvre de Moïse seul ? Non il faut
probablement historiciser les énoncés. L’on voit toute une série de
communications intervenir sur ce point et remettre en cause le bel
agencement orthodoxe qu’on voulait construire à l’origine. La réaction
ne se fait pas attendre ; en 1900 c’est le dernier congrès. Pie X
arrive au pouvoir en 1903 et les congrès sont finis. Il y a une rétractation
de l’Église sur ses propres savoirs.
- Il faut attendre Pie XI en 1936 pour que se réorganise
quelque chose de l’ordre de la pensée catholique s’ouvrant au monde extérieur.
L’Académie Pontificale des Sciences, qui existait déjà sous une forme
différente depuis 1860, se trouve désormais réorganisée avec un mot
d’ordre : la distinction entre « vraie science » et
« fausse science ».
- En 1936 le Pape Pie XI déclare : « La
vraie science s’incline devant l’autel, elle s’abaisse devant le Dieu
de la sagesse, entre la foi et la raison il ne peut exister aucun désaccord
si la raison reflète la foi ».
-
- II
– 2 - Deuxième période : accommodement relatif à la modernité
scientifique (après 1940)
-
-
- Si l’Église évolue à cette époque c’est
parce que le contexte change. Une institution comme l’Académie
Pontificale des Sciences joue un très grand rôle dans la mise en relation
de l’Église, hier encore rétractée sur ses positions propres, et un
monde scientifique qui, chaque jour davantage, ajoute des connaissances à
ses connaissances. Il s’opère une circulation des savoirs entre le monde
intra-clérical et le monde social, le monde de la science ordinaire. L’Église
change mais la science aussi change. Lorsque l’on pense le rapport du
catholicisme avec le monde il faut toujours, comme le disait Bachelard,
envisager les choses relationnellement.
-
- Dans les années 1920-1930 émerge une science
bien moins positiviste que par le passé, moins assurée d’obtenir la vérité.
- Les travaux de Wittgenstein, de Carnap, de
Popper, de Cantor en mathématique,
interrogent sans doute la théologie mais ils interrogent aussi l’irréfutabilité
de la science elle-même.
- Pensons au grand postulat de Popper en la matière.
- L’Église reconnaît bien davantage
qu’auparavant la vérité scientifique mais parallèlement, car nous
sommes toujours dans un compromis relatif,
elle affirme la nécessité de préserver la vérité religieuse.
-
- a)
Reconnaître la vérité scientifique ?
- Il y a deux Papes qui vont jouer un rôle
essentiel en la matière. D’une part un pape qui traîne une mauvaise réputation
depuis la condamnation de la nouvelle théologie, c’est Pie XII mais qui,
sur ce terrain là, va apporter du neuf. Il y a d’autre part JP II qui va
bientôt prolonger cette théologie
de la science.
- Comment se fait l’évolution des discours sur
la question de la science et plus précisément sur la question du
transformisme ? Mais ce que je vais vous dire maintenant vaut pour
l’ensemble des disciplines scientifiques. Les blocages précédents de
l’Église résultaient d’une vision littérale de la Bible qui prenait
l’Écriture à sa valeur immédiate :
les énoncés contenus dans la Genèse sont des énoncés absolument
certains et ces énoncés certains interdisent que la science se développe
dans l’autonomie.
- Toute l’ambition des deux papes que je viens
de citer va être précisément de faire sauter ce verrou exégétique Au début du XX° siècle, fin du XIX°, la recherche avait
été bloquée par cette interprétation globale littéraliste de la Bible.
On voit qu’à partir des années 1950 cette interprétation ne fait plus
recette au sommet de l’Église romaine. Il y a deux textes de Pie XII, qui
accède au pontificat en 1939, qui marquent ce point de vue.
-
- ·
L’encyclique « Divino Afflante Spiritu » (sous
l’influence de l’Esprit saint).
- Cette
encyclique porte sur les études bibliques. Pie XII, se référant à l’école
de Jérusalem qui avait été dirigée par le père Lagrange - lequel avait
été inquiété par Pie X – affirme :
-
- - il faut accorder toute son importance à la
théologie des quatre sens de l’Écriture.
- Vous vous souvenez ce que je précisais tout à
l’heure : l’Écriture n’a pas seulement un sens littéral, elle a
d’autres sens qu’il revient au Magistère de produire.
-
- - il
faut justifier, accepter, la méthode historico-critique lorsque l’on étudie
le récit scripturaire , c'est à dire ne pas prendre le texte à
sa valeur immédiate, repérer les origines historiques, les modalités de
construction, éventuellement les contradictions, pour essayer
d’apercevoir dans ce texte des strates différentes de signification.
-
- On voit que le récit biblique, qui venait empêcher
hier la science d’aller jusqu'à sa dynamique d'autonomisation, se trouve
ici perçu à partir de nouvelles grilles d’analyse qui vont probablement
faciliter le développement d’une science plus autonome.
-
- ·
La seconde encyclique « Humanae Generis »
- Elle précise qu’il faut désormais pousser
plus avant l’examen du dépôt sacré pour dégager ce qui n'est contenu
qu’obscurément dans ce dépôt de la foi. JP II indique que le vrai sens
de la Bible est souvent caché. Par
exemple le récit des commencements, les 11 premiers chapitres de la Genèse
ne répondent pas aux règles de la composition historique. En d’autres
termes il faut aller au-delà de leur valeur littérale pour retrouver leur
signification réelle.
- Tout cela a permis à l’Église de consentir
à la thèse darwinienne.
-
- Il se passe, à l’époque de Pie XII, une véritable
réconciliation avec la science.
- Dans le domaine de
l’astrophysique Pie XII s’était clairement rallié aux thèses
scientifiques modernes en reprenant la théorie de l’Univers en expansion
de Hubble et le Big-Bang de Lemaître. En 1951, devant l’Académie
Pontificale des Sciences, Pie XII parle de ces théories géniales visant à
renouveler la représentation du monde et permettant
d’entrevoir à quelle profondeur la science se meut.
- L’encyclique « Humani Generis »
constitue un tournant dans les
années 1950.
- La théorie de Darwin, dit le Pape, n’est pas
complètement parfaite, elle reste encore incertaine sur le plan
scientifique, il lui manque des preuves irréfutables.
- Il ajoute : ce transformisme ne peut plus
être considéré comme une erreur. L’évolutionnisme darwinien est une
hypothèse qu’il faut prendre au sérieux. Elle est probablement exacte
pour les animaux et les végétaux (mutations successives) mais aussi pour
le corps humain lui-même. On ne peut plus parler d’une création soudaine
et immédiate. Notre enveloppe corporelle a pu évoluer et venir, peut-être,
d’un arbre animal dont nous ne serions que les surgeons. Mais en ce qui
concerne l’âme nous maintenons notre position.
-
- JP II accentue les choses en 1996 avec sa déclaration
dans la grande Académie Pontificale des Sciences à Rome : « Le
darwinisme est plus qu’une hypothèse ».
Alors que Pie XII disait « c’est une hypothèse », JP
II va plus loin inversant la logique herméneutique de ces prédécesseurs :
« Si les sciences de la nature nous indiquent que nous nous trompons
dans l’interprétation du texte saint il faut probablement que nous
transformions la lecture de ce texte saint »
- Faut-il considérer que l’Église se serait
rendue définitivement aux arguments de la science moderne ? Un
compromis sûrement, une reddition non. Si l’on reprend la philosophie des
sciences dans son rapport avec la religion on peut
trouver trois interprétations :
-
- - Un premier
modèle qui affirme la prévalence, la supériorité absolue de la science
sur la religion. Ce modèle se développe aujourd’hui autour d’un
courant qui tourne autour du NewAteism avec Dawkins et Hichens. La religion
est de l’ordre de l’illusion, au mieux une opinion. C’est du côté de
la science qu’il faut trouver la vérité de notre propre situation et
probablement les réponses aux problèmes que nous nous posons.
-
- - Une façon d’imaginer la relation entre
religion et science. Pour le biologiste Stephen Gould (1941- 2002) il faut affirmer la complémentarité de la science et de la
religion. Il pose le principe du non empiétement des Magistères. Chacun
dans sa propre sphère. La science n’a pas vocation à tout régler ;
la religion n’a pas vocation à imposer son Magistère au travail des
scientifiques.
-
- - La prééminence de la foi sur la raison et
de la religion sur la science. Le Magistère se situe majoritairement dans
ce troisième cas. La science répond au comment des choses et n’a pas
vocation à exprimer le pourquoi. La science a une fonction instrumentale,
elle n’a à aucun titre une fonction fondationnelle. Les pontifes délimitent très clairement les territoires. Pie XII est le premier à
intervenir sur ce point. En
1957 devant des astronomes réunis à Rome il déclare : « La vérité
scientifique devient un leurre à partir de l’instant où elle croit
suffire à tout expliquer sans se référer à la vérité de Dieu ».
- Et l’on voit qu’il existe toujours, au-delà
de la pensée suprême, Dieu, une statue du Commandeur, du Commandeur suprême,
Dieu qui vient réguler le travail du scientifique et l’empêcher de
produire des éléments de savoir qui iraient à l’encontre de la vérité
de Dieu.
- Pour JP II, s’il faut accepter les faits donnés
par la science, on ne peut admettre sans condition les explications « unitives »
de type métaphysique que les savants tentent de mettre en sens.
- Les énoncés scientifiques ne valent que
s’ils sont conformes, dit JP II, aux
jugements de la philosophie et, au-delà, à la vérité théologique. Il
existe donc une hiérarchie des compétences qui place le clerc avant le
savant. Le savant doit accepter que sa raison soit régulée par la foi.
- Il y a deux principes sur lesquels le pape
n’entend pas transiger : ne
jamais toucher à la question de la création. Le cardinal Ratzinger, futur
Benoit XVI, disait en 1981 :
- « évolution et création sont appelées
à se compléter, jamais à s’exclure »
-
- b)
Conserver l'idée de création
- Benoît XVI dira : Dieu existe ou
n’existe pas ; ou l’on reconnaît la raison créatrice, qui est à
l’origine de tout, ou l’on soutient la primauté de l’irrationnel
selon laquelle, tout ce qui fonctionne sur notre Terre ne serait qu’un
produit irrationnel, un produit du hasard.
- Le christianisme a choisi son camp : la
grande option du christianisme est l’option pour la rationalité. C’est
à dire l’option pour la création divine. Pour asseoir cette idée J.
Ratzinger, Karol Wojtyla, Eugène Pacelli font référence à un très vieux
topos de la pensée philosophique :
- observez la complexité du monde, voyez
l’harmonie du cosmos, comment tout cela pourrait-il être s’il n’y
avait à l’origine des choses une main transcendante ?
-
- Pie XII et JP II font une lecture créationniste
du big-bang. Ce que nous voyons dans l’ordre de la biologie, la physique
nous le montre aussi. La physique nous montre, à travers la théorie du
big-bang, l’existence incontestable d’une généalogie divine. Notre
monde n’est pas le produit d’un hasard. Le monde est le produit d’une
nécessité où l’on trouve à l’origine des choses la volonté même de
Dieu.
- Voilà ce qu’il dit en 1951 : « Il
semble que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions
de siècles ait réussi à se faire le témoin de ce « fiat lux »
initial, de cette création primitive, de cet instant où a surgi du néant,
un océan de lumière et de radiations.
- La théorie physique est ici rapatriée pour
une situation créationniste. Ce monde là ne peut pas être le fruit du
hasard. Le big-bang traduit nécessairement l’intervention de Dieu dans
cet univers. Une intervention de Dieu qui, à la différence du Dieu de Descartes, ne s’est pas éloignée du monde après la
chiquenaude initiale.
- Ce monde, poursuit Pie XII, est un monde encore
travaillé par une théologie, par un finalisme divin. L’observation de la
mécanique céleste, nous dit le Pape Pie XII, mais la chose sera reprise
par les papes suivants, remet en cause l’idée d’un chaos. Ce monde se
signale comme un monde finalisé dans lequel chacun, chaque chose, chaque être
séjourne à sa juste place. Il reprend ici une phrase d’Einstein :
« Dieu n’a pas joué aux dés avec le monde ».
- Il faut rejeter l’idée que ce monde serait
une sorte de mécanisme, nous retrouvons la vision aristotélicienne,
thomiste d’un ordre harmonieux où chaque être séjournerait à sa juste
place, suivant le droit, suivant la loi que Dieu lui-même aurait établi.
- Les hommes de science doivent accepter que
l’univers soit un cosmos, un tout ordonné qui ne peut pas être tel
qu’il est sans l’intervention transcendante d’une main divine.
- C’est un premier élément : conserver
l’idée de création.
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- c)
Conserver l'idée de la singularité de l'Humain
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- Le second élément,
c’est conserver l’idée de l’Homme, de la singularité de
l’humain. L’adhésion à la théorie transformiste ne doit pas conduire
à cette idée que l’Homme serait un animal un peu plus abouti que les
autres. L’âme de l’Homme lui vient d’une création spéciale. La foi
catholique nous impose de maintenir l'idée de la création immédiate des
âmes par Dieu lui-même. C’est un point que l’on trouvera constamment
dans les textes. Il s’oppose ici nommément aux travaux de Monod ou de
Dawkins, en disant que l’Esprit ne peut-être seulement le produit d’une
simple sécrétion de la matière.
- L’Esprit a été inscrit dans les Hommes même
par cette main transcendante et c’est précisément cet Esprit voulu par
Dieu, inscrit dans notre corps par Dieu lui-même qui fait toute la distance
entre le règne humain et le règne animal.
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- CONCLUSION
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- Je conclurai en disant, et c’est par-là que
je voudrai rassembler tout ce que j’ai voulu vous dire aujourd’hui :
il y a bien eu au fil des siècles une modification du discours catholique.
L’évolutionnisme a fait l’objet, mais la physique aussi, d’un
traitement différentié à travers le temps.
- Il y a un premier moment jusqu’à Pie XI où
l’on voit l’Église affirmer ce que l’on pouvait appeler une posture néoconstantinienne.
- Prenant la Genèse à sa valeur littérale, même
si elle ne le dit pas comme cela, l’Église récuse avec virulence le modèle
transformiste qu’elle estime contraire à la volonté de Dieu, comme elle
fait obstacle aussi aux chronologies nouvelles que découvre la physique
dans l’ordre du monde.
- Il y a un second moment qui s’ouvre avec Pie
XII qui est le moment d’une attitude plus négociée ce que j’ai appelé
un moment postconstantinien s’ouvrant à l’exégèse historique de la
Bible, admettant l’autonomie du savant dans sa sphère d’intervention.
L’autorité romaine se dissocie du créationnisme strict pour consentir
aux grands axiomes du darwinisme comme elle consent aussi aux grands axiomes
de l’astrophysique. C’est à condition cependant que soit maintenue
l’origine divine de l’Univers, la création spéciale de l’humain,
l’idée de péché originel, l’idée d’ordre naturel, l’idée d’un
salut en dehors du monde.
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- Cette mutation nous renseigne sur ce qui fait
le propre et peut-être le drame du catholicisme en régime de modernité.
L’ambivalence est sa singularité, le catholicisme articule discours de vérité
et art du compromis. Au fond, comme le disait Émile Paulat, le catholicisme
est dans le monde moderne sans être tout à fait de ce monde, il vit sans
en vivre en faisant, comme il peut, avec cette dualité inconfortable.
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- PROCHAINE CONFÉRENCE À
L’IAP LE 19 FÉVRIER 2013 À 19 H 30
- SUZY COLLIN-ZAHN,
OBSERVATOIRE DE PARIS-MEUDON (OBSPM)
LE PRINCIPE ANTHROPIQUE
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- Texte de présentation
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- La question est souvent considérée comme
sulfureuse en France parmi les scientifiques, mais elle est très débattue
dans les pays anglo-saxons : Pourquoi l’Univers dans lequel nous
vivons est il compatible avec l’apparition de la Vie ?
- On peut lui donner deux réponses. D’une
part, la réponse spiritualiste ou « grand dessein », qui monte en
puissance aux États-Unis et irrigue depuis vingt ans les thèses créationnistes.
D’autre part, essentiellement deux réponses scientifiques : la « théorie
du Tout » qui rendrait compte des conditions existant dans l’Univers, et
le modèle des « multivers » proposant que notre Univers soit une simple
« poche » parmi d’autres dont les conditions seraient différentes.
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- Je développerai ce seul point de vue,
discutant en particulier si cette question fait effectivement partie du
champ de la science.
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- Bon ciel à tous !
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- Christian Larcher (SAF) pour
- Jean Pierre Martin
.Commission de Cosmologie de la SAF.
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