Mise à jour 22 Juin 2014
 
 
Colloques de l'Orme des Merisiers
 «LES NEUTRINOS : UNE RENCONTRE DU 4ème TYPE»
Par Thierry LASSERRE
Physicien CEA Saclay DSM / IRFU /APC
Au CEA L'Orme des Merisiers
Le Jeudi 19 Juin 2014 à 11H00
 
Photos : JPM. pour l'ambiance (les photos avec plus de résolution peuvent m'être demandées directement)
Les photos des slides sont de la présentation de l'auteur.  Voir les crédits des autres photos et des animations.
Cette conférence a été filmée en vidéo  et devrait être accessible sur Internet (je n'ai pas d'info)
Toutes les vidéos des précédents colloques de l'Orme se trouvent   ICI.
 
 
 
Ce cycle de conférences est organisé par Edgar Soulié du CEA (et président de la commission des étoiles doubles de la SAF) qui se trouve à droite sur la photo.

Ces conférences sont organisées tous les deux mois.

Thierry Lasserre est physicien au DSM (Direction des Sciences de la Matière) au CEA Saclay, dans le service de le physique des particules.
 
L’ensemble fait partie d’une entité plus importante : l’IRFU, l’institut de recherches sur les lois fondamentales de l’Univers.
 
Il est aussi chercheur associé à l’APC (Astro Particules et Cosmologie).
 
Enfin, c’est un de nos plus grands experts sur les neutrinos, notamment auprès de l’AIEA.
 
Il fait le point aujourd’hui sur les dernières découvertes concernant les neutrinos.

 

LES NEUTRINOS DANS L'UNIVERS.

Thierry Lasserre nous a déjà présenté plusieurs conférences sur les neutrinos, aussi, je vais reprendre au début de ce compte rendu quelques portions de texte que j'ai déjà utilisées.

Si toute la matière semble être faite de neutrons, protons et électrons, on ne se rend peut être pas compte que cet ensemble est très minoritaire ; car pour chacune de ces particules, il y a 1 milliard de neutrinos.
 
Notre corps est traversé chaque seconde par 100.000 milliards de neutrinos solaires.
D’autre part, notre même corps contient 30 millions de neutrinos originaires du Big Bang !
Le neutrino a été découvert lors de l’étude approfondie de la radioactivité bêta.
 
La radioactivité bêta posait un problème, un électron était éjecté du noyau avec une énergie variable ce qui semblait prouver qu'une certaine quantité d'énergie était émise (conservation de l'énergie, une grande loi de la physique) mais non détectée.
 
Un noyau (A,Z) se transforme en un noyau (A,Z+1) avec émission d'un électron, mais on ne trouvait pas de trace d'une autre particule.
C'est Wolfgang Pauli, célèbre physicien Autrichien, qui en 1930 émit l'hypothèse qu'une particule neutre devait être émise en même temps que l'électron.
Cette particule, il l'appelle d'abord….neutron, mais quelques temps plus tard James Chadwick découvre la particule neutre qui compose le noyau, et qu'il va appeler neutron, alors cette nouvelle particule non encore détectée est baptisée par Enrico Fermi neutrino (petit neutre).
C’est en fait Fermi qui va élaborer la théorie de la désintégration bêta et la publie en 1934.
 
Que sait-on alors ?
 
Le neutrino interagit très très peu ; sa probabilité d’interaction avec un humain est par exemple de 10-16 !!
Sa détection est pour le moins…..difficile !
 
On sait que parmi les quatre forces fondamentales de la nature : gravitation, électromagnétisme, force forte et force faible, le neutrino n’est sensible qu’à la force faible (et à la gravitation comme tout le monde bien sûr).
Mais oublions la gravitation pour le moment.
 
Un neutrino sur 10.000 milliards est intercepté par la Terre, il faut donc un débit énorme de neutrinos si on veut en détecter quelques uns, alors où les trouver ?? Près d’une centrale nucléaire bien sûr !
 
Les fissions nucléaires en chaîne produisent en moyenne 1021 neutrinos (en fait des anti neutrinos) par seconde !
 
Et c’est en 1956 que Reines et Cowan détectent les anti neutrinos du réacteur nucléaire de Savannah River.
 
En effet, le réacteur éteint, on détecte un neutrino par heure, le réacteur en fonctionnement, quatre ! Donc c’est bien la preuve.

 

LES NEUTRINOS ET LE MODÈLE STANDARD.

 

Il y a essentiellement deux types de particules élémentaires :
 
Les Fermions sont des particules liées à la matière, ce sont tout ce que l’on connaît : les atomes et les molécules
 
Les Bosons, sont les « messagers » des Forces de la nature (qui sont au nombre de 4) le photon est le plus connu de tous
 
Les Fermions sont partagés en trois familles (pourquoi trois ??? mystère pour le moment) de Quarks  et Leptons :
Seule la première famille donne naissance à de la matière stable.

 

Les neutrinos peuvent provenir de différentes sources :
·        Les réacteurs nucléaires
·        Les accélérateurs de particules (LHC…)
·        La Terre
·        L’atmosphère
·        Le Soleil et les autres étoiles
·        Les super novæ
·        Les noyaux actifs de galaxies (AGN) ou accélérateurs astrophysiques
·        Le Big Bang
·        Moins connu : le corps humain grâce à ses 20mg de Potassium 40 émetteur bêta (300 millions d’anti neutrinos par jour)
 

 

 

 

Si les neutrinos ont une masse; lorsqu'ils se déplacent, ils peuvent se transformer (plus ou moins totalement) d'une espèce en une autre. Le phénomène est périodique en fonction de la distance entre la source et le détecteur et prend le nom d'oscillations
Mais dans les différents pièges à neutrinos, on ne mesure que 1/3 des neutrinos attendus, c'est l'énigme des neutrinos solaires : le Super Kamiokande est toujours en déficit, pourquoi?

 Un progrès : le détecteur de Sudbury au Canada, voit, lui tous les types de neutrinos, c'est lui qui nous met sur la voie : les neutrinos se sont transformés pendant leur voyage.
On dit qu'ils changent de "couleur" en voyageant.

 

 

 

 

Il y en a de trois types dans ce phénomène d'oscillation :
le neutrino électronique
le neutrino tauique
le neutrino muonique

L'oscillation des neutrinos, implique qu'ils possèdent une masse.

Elle serait de l'ordre de un million à 10 millions de fois plus faible que celle de l'électron.

L'oscillation des neutrinos a déjà été maintes fois observée, comme on le voit sur la diapo ci-contre.

 

 

 

 

L'expression mathématique qui indique comment deux types de neutrinos oscillent l'un vers l'autre dépend de la différence des carrés de leur masse. Donc, si la masse des neutrinos était nulle, il n'y aurait pas d'oscillation". Ces oscillations sont la preuve que la masse du neutrino n'est pas nulle.

Il y a donc mélange de neutrinos entre ces divers types. Ce changement d'état correspond à un changement de "saveur" leptonique au cours du temps. Ce mélange des trois états de masse est appelé angle de mélange (et se nomme par la lettre grecque Thêta, mixing angle en anglais) , il n'y a que trois types d'oscillations possibles.

 

Mais il reste de nombreuses questions ouvertes sur ces neutrinos :

 

L'EXPÉRIENCE DOUBLE CHOOZ DANS LES ARDENNES.

D'après le texte du CEA :

 

En 2003 Le CEA/Irfu et le CNRS/IN2P3 ont  lancé le projet Double Chooz. Les deux instituts ont décidé de lancer en septembre 2006 la construction de l’expérience destinée à étudier les neutrinos.

 

L’expérience Double Chooz comporte deux détecteurs identiques. Le premier d’entre eux, situé à une distance d’environ 1 km des réacteurs, a été construit entre 2008 et 2011 sous la coordination technique de l’Irfu. Il est actuellement en prise de données depuis le mois d’avril 2011. Un deuxième détecteur est situé dans une cavité sur le site de la centrale de Chooz, à 400 m des cœurs.

Ces deux détecteurs utilisent des scintillateurs liquides spécialement mis au point pour cette expérience.

La cible au centre du détecteur contient 10 m3 de scintillateur dopé au gadolinium pour identifier la capture des neutrons directement créés par l’interaction des neutrinos venant des réacteurs nucléaires (ce sont en fait des antineutrinos)

La cible est observée par 400 photomultiplicateurs immergés qui traduisent les interactions en signaux électroniques.
Deux détecteurs distincts et distants sont construits afin de comparer les flux de neutrinos pour mettre en évidence le phénomène d'oscillation. On va mesurer la disparition des neutrinos électroniques.

Sur la distance séparant les deux détecteurs, les neutrinos ont une probabilité non nulle de changer de saveur.

 

 

L'expérience Double Chooz doit mesurer la constante fondamentale theta13 associée à l’oscillation des neutrinos, essentielle pour étendre la compréhension au-delà du modèle standard de la physique des particules, et pour se préparer à explorer l’origine de l’asymétrie entre matière et antimatière dans l’Univers.

 

 

 

 

Les réacteurs de la centrale EDF émettent 1026 neutrinos par jour. Seuls 1019 neutrinos traversent le détecteur par jour.
Et 50 neutrinos sont détectés par jour à 1km!

100 personnes de 35 instituts sont représentés à Double Chooz.

 Les premiers résultats :
 
On a été capable de mesurer l'angle de mélange thêta 1-3, mais il semble que à haute énergie les prédictions ne collent pas avec les mesures. Il y a un déficit de neutrinos. Un quatrième neutrino serait il nécessaire? Ce déficit proviendrait-il de ce neutrino vers lequel une partie des neutrinos d'origine aurait oscillé?

ci joint deux courbes représentant les résultats.

 

 

Vidéo sur l'expérience double Chooz :


La course aux neutrinos à Chooz (08-Ardennes) par France3-Champagne-Ardenne  

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 Ces anomalies pourraient donc provenir d'un quatrième type de neutrino, un neutrino baptisé stérile car il n’interagirait pas avec les autres types, de plus il serait très léger

 

Ces neutrinos stériles ne seraient sensibles qu'à la gravitation.

Cette anomalie est appelée anomalie des neutrinos (ou plutôt des antineutrinos) des réacteurs (ANR).

 

 

 

 

Illustration de l'ANR. Les résultats sont comparés avec les prédictions sans oscillation (ligne = 1) .

Ce neutrino stérile, n'aurait bien entendu pas d'interaction connue avec la matière, se mélangerait aux trois autres et aurait une masse inférieure à l'eV.

On voit le champ correspondant à cet éventuel 4ème neutrino, cette 3ème oscillation, pour laquelle il faudra encore tester différents scénarios.

par exemple : les expériences prévues pour LSND (Liquid Scintillation Neutrino Detector) ou pour GALLEX (Gallium Experiment) au Gran Sasso et SAGE (Soviet American Gallium Experiment).

 

Une des expériences les plus récentes est Nucifer sur le réacteur Osiris de Saclay, collaboration CEA et Max Planck Insitut. Elle est fondée sur la technologie Chooz. Scintillateur de 850l , détecteur situé très près (7m) du cœur du réacteur; 300 neutrinos détectés par jour.

 

Mais le vrai challenge c'est de se mettre encore plus près du cœur d'une source fortement radioactive (le Ce 144), ce sera fait avec l'expérience Borexino (Boron Solar Neutrino Experiment en italien) du Gran Sasso.

Extraits de la doc CEA sur le sujet :

Par définition un neutrino stérile ne peut pas induire une interaction permettant sa détection directe. Il pourrait néanmoins se joindre aux trois autres dans le phénomène d’oscillation. L’effet expérimental de sa présence serait une diminution caractéristique du nombre d’interactions des neutrinos « ordinaires », variable selon leur énergie ou la distance à laquelle ils sont détectés.

 

 

 

Ainsi, si le neutrino stérile existe, le nombre d’antineutrinos du cérium détecté devrait présenter une modulation spatiale de quelques pour cent d’amplitude sur un parcours de quelques mètres !  

D’où l’idée de placer une telle source au centre d'un détecteur sphérique à scintillateur liquide (voir figure 1), afin de déterminer les variations du taux de détection en fonction de la distance à la source (courbe rouge de la figure 1). La variation attendue a une période inversement proportionnelle au carré de la masse du neutrino stérile, tandis que l’amplitude du phénomène est reliée à la force (angle de mélange) avec laquelle le quatrième neutrino se mélange aux trois autres.

 

La désintégration du Cérium (émetteur d'antineutrinos). Période 285 jours, ce qui est compatible avec un transport moyennement lent. Le trajet du transport de la source de 10.000Ci de puis la Russie jusqu'au tunnel du Gran Sasso en Italie.

Nous attendons avec impatience les premiers résultats.

 

ET LA COSMOLOGIE DANS TOUT çA ?

Les modèles cosmologiques actuels comme le CDM (Cold Dark Matter) semblent atteindre leurs limites; en effet les simulations à base de ces modèles ne rendant pas compte parfaitement des structures observées dans l'Univers, notamment il y aurait trop de structures à petite échelle autour des galaxies.

 

Un autre neutrino (le cinquième alors) stérile, pourrait mieux rendre compte de cette réalité. il devrait avoir une masse de l'ordre du keV. C'est ce que l'on appelle le modèle WDM (Warm Dark Matter, matière noire tiède).

 

 

 

On compte beaucoup sur l'expérience Katrin (Karlsruhe Tritium Neutrino) de nos amis allemands, pour nous permettre de mesurer beaucoup plus précisément la masse de ces neutrinos. Et peut être même de confirmer l'existence d'autres neutrinos.

Ce cinquième neutrino (cosmologique) remettrait un peu en cause les conclusions de Planck élaborées en 2013; mais attendons la fin de cette année 2014 pour voir ce qu'il en est; de nouvelles conclusions devant être diffusées à cette époque.

 

Donc, affaire à suivre, nous en reparlerons.....

 

 

 
POUR ALLER PLUS LOIN :
Comment la masse vint aux neutrinos par D Vignaud.
Masse mélange et oscillation de neutrinos par G Wilquet

Les neutrinos en pleine transformation article de La Recherche

Double Chooz à l'IN2P3.

Le neutrino la particule qui va faire exploser toute la physique, article de Science et Vie.

The Search for the Third Neutrino Mixing Angle par le Max Planck Institut

Les neutrinos stériles à prendre au CÉRIUM par l'IRFU.

The reactor antineutrino anomaly par Th Lasserre et collègues.

Sterile neutrinos conférence pdf par Th Lasserre. Super!

Premiers résultats de l'expérience Double Chooz : manquerait-il des neutrinos ? par le SPhN

Des neutrinos stériles pour révolutionner physique et cosmologie ? par le Dr Eric Simon.

Les neutrinos de l’Univers : CR de la conf SAF (Cosmo) de Th Lasserre du 18 Janvier 2014

Le mystère des neutrinos : CR de la conf SAF de D Vignaud du 16 Déc 2009

Le charme discret des neutrinos : CR de la conférence de H Reeves aux RCE 2006 le 12 Nov 2006

 

 
Bon ciel à tous
 
 
Jean Pierre Martin   Président de la commission de cosmologie de la SAF
www.planetastronomy.com
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